L’instant émotion de Rodrigue Beaubois : « Quand j’étais encore en Guadeloupe à 17 ans, je n’y croyais plus »
La passion peut naître de bien différentes manières. Que serait-il arrivé à Rodrigue Beaubois si Canal+ n’avait pas oublié de crypter le quart-temps d’un match de NBA en 1995 ? Dans son quartier des Lauriers, à Pointe-à-Pitre, le jeune Guadeloupéen avait grandi en tant que football et était sur le point de s’inscrire en club. Mais ces quelques minutes devant sa télévision ont tout changé. Pour lui, ce serait la balle orange et rien d’autre : quelques semaines après, il démarrait le basket à l’OMS de Pointe-à-Pitre.
Un destin d’une évidence folle dorénavant, tant Rodrigue Beaubois incarne le talent à l’état pur. Un artiste, une élégance rare, un shoot soyeux, désormais doté − malgré une carrière longtemps ralentie par les blessures − de l’un des plus beaux palmarès du basket français, sinon mondial. Dans l’histoire, ils ne sont que onze à avoir remporté la NBA et l’EuroLeague, et l’arrière tricolore est l’un d’entre eux. Mieux, depuis la finale étouffante de samedi contre le Real Madrid (58-57), le voilà même double champion d’Europe.
Sauf que justement, la destinée de Rodrigue Beaubois a failli déraper. À l’âge de 16 ans, boudé par les clubs de métropole, le Guadeloupéen est passé proche d’abandonner le basket. Élu MVP du tournoi de GuyMarGua (Guyane – Martinique – Guadeloupe) deux ans plus tôt, il s’était raté lors des interzones en France, laissant ses coéquipiers Ludovic Vaty et Jessie Begarin intégrer l’INSEP. Une immense désillusion, la fin de son rêve de haut-niveau, pensait-il, au point de simplement continuer à jouer sans réel objectif avec le New Star pendant un temps. Mais deux ans plus tard, en 2005, Jean-François Martin, le coach des Espoirs de Cholet Basket, est venu effectuer une détection en Guadeloupe, décelant enfin le talent du prodige local. Samedi soir, dans les couloirs de la Stark Arena de Belgrade, deux bières Efes (forcément) en main, c’est vers tous ces instants de doute que Rodrigue Beaubois s’est de lui-même laissé emmener, gagné par l’émotion.
« Un seul titre européen, c’était déjà un rêve, alors deux… Je n’avais jamais imaginé cela, c’est pour cela que je suis tellement heureux. C’est une bénédiction de Dieu qui m’a permis de jouer au basket, premièrement, puis d’intégrer des équipes formidables. Pouvoir expérimenter des sensations comme celle-ci, c’est complètement fou. Merci pour tout ! Quand j’étais en Guadeloupe à 16-17 ans, je n’y croyais plus hein. Je n’y croyais vraiment plus. Parce qu’on dit toujours qu’il faut quitter la Guadeloupe à 15 ans, sinon c’est fini. Donc quand j’ai dépassé cet âge-là et que j’étais toujours en Guadeloupe, j’ai vraiment cru que c’était terminé pour moi. Je remercie tous les coachs qui m’ont poussé, qui m’ont convaincu de continuer. Je remercie Frédéric Fermely qui a fait des efforts pour que je puisse être pris, même très tard. Je remercie Jean-François Martin qui a fait confiance à un enfant de 17 ans, tout frêle. Il a cru en moi, il m’a fait venir à Cholet, il a toujours été derrière moi, il continue à m’envoyer des messages. Je remercie tous les coachs que j’ai eu car franchement, grâce à eux, je peux connaître ce que je vis maintenant. Maintenant, j’espère que ce n’est pas fini ! Je suis très content de ce titre mais j’espère qu’il y en aura encore plus. »
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Avec l’Anadolu Efes ? Lors d’une soirée de célébrations organisée dimanche à Istanbul, Ergin Ataman a promis un three-peat aux invités, contrairement à la conférence de presse post-finale où il avait botté en touche. Mais avec quels joueurs ? Krunoslav Simon a déjà annoncé qu’il ne serait plus là par exemple, par exemple, tandis que Will Clyburn a signé. Au terme d’un incroyable cycle de quatre ans, de la dernière place à trois finales d’affilée, il régnait ainsi une atmosphère de fin d’époque au sein d’une équipe particulièrement lassée par son entraîneur. Mais puisque gagner est addictif, Rodrigue Beaubois semble espérer poursuivre l’aventure sur les bords du Bosphore.
« C’est incroyable ce que l’on a réalisé. Gagner deux titres ensemble, c’est fort. Quand l’équipe s’est constituée, il y a quatre ans, personne ne croyait en nous. Personne n’aurait parié sur nous. Et toutes ces saisons ont été exceptionnelles. […] Mon avenir ? Je suis toujours sous contrat. Quand tu gagnes, tu oublies tout et on y va. C’est un groupe spécial donc tant qu’ils le maintiendront ensemble, on continuera à pousser ! »
Et d’ici là, rien que pour cette saison, la moisson de Rodrigue Beaubois n’est peut-être pas terminée… Discret au Final Four à cause d’un dos récemment bloqué (0 point en 13 minutes sur le week-end), il tentera premièrement de revenir en forme mais a surtout désormais l’occasion d’empocher son troisième titre de champion de Turquie puisque l’Anadolu Efes disputera dès demain le Match 3 des quarts de finale contre Izmir (1-1). « Félicitations, est-ce que l’on peut jouer maintenant ? », a d’ailleurs publié Amath M’Baye, l’ailier-fort du Pinar Karsiyaka, sur Instagram dans la foulée du sacre stambouliote samedi. Les effluves de champagne seront certainement encore présentes mardi au Sinan Erdem Dome mais quelque part dans les Caraïbes, il y a quelques années de cela, un gamin guadeloupéen aurait certainement signé pour un tel enchaînement…
À Belgrade,
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