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Kadri Moendadze, le miraculé mahorais

Alors qu'il devrait revenir à la compétition dimanche contre l'ASVEL après six semaines d'indisponibilité, Kadri Moendadze reste un personnage à part dans le basket français, toujours le seul joueur originaire de Mayotte dans le circuit professionnel. L'occasion d'évoquer un parcours incroyable, de Mamoudzou à Roanne, et la situation d'une île sans grande perspective pour ses jeunes talents, si ce n'est le maigre espoir d'un miracle à la Moendadze.
Kadri Moendadze, le miraculé mahorais
Crédit photo : Julie Dumélié

Jean-Denys Choulet l’appelait de ses vœux depuis plusieurs semaines : Kadri Moendadze (1,91 m, 29 ans) devrait signer son retour dimanche à Villeurbanne, six semaines après s’être blessé à… l’Astroballe en Coupe de France. Victime d’une béquille sur un saut, il a vu se former un hématome de 27 centimètres sur sa cuisse. « Même le médecin était choqué », sourit le Roannais.« Ça m’a fait gonfler toute la jambe, je n’avais jamais vu ça. Il y avait du sang partout. Les docteurs me prédisaient plus de deux mois d’arrêt mais je suis content de revenir un peu avant. » Une excellente nouvelle pour JDC, pas toujours satisfait de l’apport de son banc, qui va pouvoir récupérer l’un des leaders de sa second unit, exemplaire défensivement et capable d’être le facteur X offensivement grâce à sa faculté à shooter de loin sans trop se poser de questions. « Je suis très content de son apport », ne cesse de souligner le technicien double champion de France.

Avant de rejoindre l’infirmerie, Kadri Moendadze était en passe de réussir son pari. Celui de prouver qu’il pouvait être un vrai joueur de Betclic ÉLITE, qui plus est dans l’ombre envahissante de Ronald March. De plus en plus responsabilisé (17 minutes de jeu en moyenne depuis le 27 décembre 2022, contre 12 auparavant), l’ancien Aixois est celui qui cimente le collectif ligérien, tout en sortant de l’ombre de temps à autre (15 points, 6 rebonds et 3 passes décisives contre Nancy le 3 février). Rien que ce fait-là est déjà un véritable accomplissement lorsqu’on sait d’où il est parti. Ainsi, Kadri Moendadze reste à ce jour le premier et seul basketteur professionnel originaire de Mayotte. Le pionnier mahorais a pris le temps de nous retracer son destin unique.

Sorti de Mayotte par hasard :
« J’ai juste eu plus de chance »

« Je suis né à Mamoudzou et j’ai grandi là-bas jusqu’à mes 15 ans. C’était une jeunesse tranquille. On ne se souciait de rien, si ce n’est d’aller au collège. C’était vraiment une vie lambda. Je suis le septième d’une fratrie de huit, quatre frères et quatre sœurs. Je suis le seul sportif maintenant, j’ai un grand frère dans la politique ou une sœur puéricultrice à l’hôpital de Mamoudzou par exemple. Mon père a joué au foot en revanche, il a même été président du club de Mamoudzou. Je me suis mis au basket quand j’avais 6 ans, pour suivre l’exemple de mon grand frère. J’en faisais juste pour m’amuser, avec mes amis. J’ai joué au foot en même temps mais c’était plus facile pour moi d’aller sur un terrain de basket accompagné de mon frère que tout seul au foot.

Kadri Moendadze avec son premier coach, celui qui l’a accompagné à Montaigu avec la sélection réunionnaise, surnommé Papana

En venant de Mayotte, personne ne jouait au basket pour autre chose que se faire plaisir. Je n’ai joué que dans un seul club, le BCM, le Basket Club de M’tsapéré. J’ai fait une seule saison avec les seniors, en 2009/10. On a remporté la Coupe de Mayotte, ce qui est un énorme évènement sur l’île. Il y a quelques jours (entretien réalisé fin novembre, ndlr), c’était la finale d’ailleurs. J’ai mis mon réveil pour regarder le match, je ne voulais pas rater une seule seconde (il rit). Ça m’a rappelé des souvenirs d’il y a plus de dix ans. La salle est toujours pleine, il y a une très bonne ambiance. À Mayotte, j’étais un bon joueur, oui, mais pas plus fort que les autres. Je me rappelle de deux – trois autres qui avaient mon niveau mais qui n’ont jamais réussi à partir. Mon grand frère était bon aussi mais il n’a pas eu cette opportunité. Même dans la génération suivante, certains n’ont pas réussi à quitter Mayotte. Je n’étais pas au-dessus des autres, j’ai juste eu plus de chance.

Cette fameuse chance, c’était pendant l’été 2010, le gros tournant de ma vie. Je venais de finir la troisième, je ne savais même pas ce que je voulais prendre comme filière au lycée (il sourit). Cet été-là, il y a eu beaucoup de changements qui m’ont pris par surprise, je n’étais absolument pas préparé à tout ça. Je me suis retrouvé en sélection de la Réunion. Ce n’est pas quelque chose qui se fait habituellement pour les Mahorais mais exceptionnellement, cette année-là, le CTR a voulu en intégrer deux. C’était la première fois de l’histoire, et la dernière aussi malheureusement… Un coach mahorais est aussi parti avec nous : il m’avait dit que ceux qui seraient bons pourraient éventuellement rester en France dans des centres de formation mais je ne l’avais même pas écouté ! La seule chose qui avait fait tilt chez moi, c’est que j’allais partir en France en vacances (il rit). C’était vraiment la seule chose dans ma tête : j’allais prendre l’avion, j’allais dix jours en France. Pour moi, ça suffisait. Je n’avais aucune idée de ce qu’était un centre de formation. Je suis parti juste pour voyager. Tout ce que j’avais vu avant, c’était les Comores, donc un petit vol régional. C’était quelque chose pour moi ! »

De Mamoudzou à Cholet, le déracinement :
« Je n’ai pas dit au revoir à mes parents,
ça m’arrivait souvent d’être en pleurs dans ma chambre »

« On est parti pour le tournoi de Montaigu. Vraiment, c’était des vacances pour moi ! D’un point de vue sportif, je ne m’attendais pas du tout à être un joueur majeur de l’équipe : j’étais le petit nouveau du groupe mais on m’a bien intégré. Et à ma grande surprise, j’ai fait de très bonnes choses. C’est là où Cholet Basket a de suite contacté mes responsables : dans la foulée, on est venu me dire que Cholet me voulait en centre de formation et que si je répondais oui, je ne rentrais pas chez moi. Là, c’était vraiment le choc : comment ça je ne rentre pas chez moi ? Je n’ai même pas répondu. C’est mon coach de Mayotte qui l’a fait pour moi : « Tu vas rester ici, Cholet est le meilleur centre de formation. » Moi, je faisais des grands yeux, je ne savais même pas si je devais dire oui ou non. Je n’avais aucune idée dans quoi je m’embarquais. J’ai eu ma mère au téléphone, elle non plus ne savait pas ce que c’était. Elle m’a juste dit : « Ben non, il faut que tu reviennes ici pour aller à l’école, tu ne vas pas faire que du basket. » Ce qui l’a rassuré, c’est quand on lui a expliqué qu’il y avait une certaine rigueur à l’école pour pouvoir rester en centre de formation. J’ai dit oui et je suis resté.

Kadri Moendadze MVP de la finale de la Coupe de France cadets 2012 contre l’ASVEL (photo : Cholet Basket)

L’arrivée à Cholet, c’était un déracinement total. Je n’étais pas prêt du tout, j’y repense presque tous les jours. J’avais une petite valise où il n’y avait rien dedans : quelques t-shirts, deux – trois caleçons et c’est tout. J’avais des affaires pour 10 jours d’été et 60€ d’argent de poche. Alors comment ai-je fait ? J’ai eu de la chance, on m’a très bien accueilli au centre, beaucoup de joueurs m’ont aidé : Bruno Cingala-Mata, Ibrahima Diagne aussi, beaucoup de gens du centre qui m’ont donné des affaires. Le club m’a filé quelques vêtements aussi, m’a donné tout ce qu’il fallait. Le plus dur à vivre, c’est que je n’avais pas dit au revoir à mes parents. Le jour du départ de l’avion, ma mère m’avait laissé de l’argent de poche sur la table car elle était déjà partie au travail. Je n’avais même pas pu la voir. J’étais tout content de partir et dix jours, ce n’était pas grand chose : je n’allais quand même pas lui dire au revoir, je la voyais tous les jours… Mais à Cholet, quand j’étais seul dans ma chambre, je me demandais ce que je faisais ici. J’étais loin de tout, j’étais très timide comme garçon donc je ne connaissais personne. Le soir, ça m’est arrivé très, très souvent d’être en pleurs dans ma chambre. Et ça, jusqu’à aujourd’hui, même ma famille ne le sait pas… Parce que je suis quelqu’un de très pudique. Je n’ai jamais montré à mes parents que j’avais besoin de quelque chose, jamais osé demander un euro. Au centre, on me donnait tout, je mangeais à ma faim, etc. Mais quand il fallait 5€ pour aller manger un kebab avec les amis par exemple, je n’avais pas. Alors je leur disais que j’étais fatigué et je n’y allais pas. Les gens ne le voyaient pas mais avec le recul, je peux aujourd’hui dire que ce n’était pas une période facile.

Sur un playground mahorais, Kadri Moendadze pose avec le maillot bleu pour Mayotte Sport Hebdo

Tout était un énorme changement pour moi à Cholet : le choc de la météo avec un hiver très neigeux, l’entrée au lycée où j’ai presque dû choisir une filière au hasard, etc. Et tout le monde me semblait tellement plus âgés au centre. À Mayotte, j’ai toujours eu l’habitude d’être le grand dadais du groupe. Et là, je tombe à Cholet Basket où je suis limite le plus fin, le plus petit. Au début, je pensais qu’on m’avait mis avec les pros (il rit). J’ai mis du temps à comprendre que c’était des gars de mon âge. Je me rappelle de la première fois où j’ai vu Rudy Gobert, c’était impressionnant. Sportivement, je me suis accroché. Moi-même, je n’avais jamais aucun jugement sur moi-même, aucun objectif personnel. Jamais je me suis dit que je devais réussir. Même quand j’ai eu accès aux pros, je n’y croyais pas. Je me voyais loin de ce niveau-là. C’est arrivé tellement vite, je n’ai jamais pensé que je pourrais y arriver. Ne pas me prendre la tête avec ça, je pense que ça m’a beaucoup aidé. Même s’il y a eu des moments où c’était très dur, j’ai profité du voyage ! Mais je dois quand même dire une chose : les réseaux sociaux, heureusement qu’ils sont là des fois car il n’y avait qu’avec ça que je me remontais le moral. Les gens de Mayotte étaient fiers de ce que je faisais, m’envoyaient des messages : ça me réconfortait et me motivait car c’est là où je me suis rendu compte que j’étais le seul à avoir eu cette chance de partir.

Cholet, j’ai tout fait là-bas, tout appris. Je n’oublierai jamais. En 2012, j’ai été élu MVP de la finale de la Coupe de France cadets 2012. Juste après ça, j’ai été invité en équipe de France U18. C’était une belle surprise et ça reste l’un de mes meilleurs souvenirs. Le maillot bleu, quand je le regarde aujourd’hui, il vaut de l’or à mes yeux. C’est quelque chose que je n’aurais jamais pensé faire (il sourit). Ma famille était très fière de ce que j’accomplissais. Mon père, qui est aussi renfermé que moi, m’appelait au téléphone avec une voix… Je pouvais ressentir son émotion. Ils ne m’avaient encore jamais vu jouer en vrai et d’ailleurs, ils ont dû attendre longtemps, puisque la première fois c’était à Orléans. Je les ai pris deux mois chez moi. Je les amenais à tous mes matchs, à chaque week-end. J’ai vu comment ils ont changé envers moi, c’est là où j’ai remarqué qu’ils étaient grave fiers de moi, ça m’a beaucoup touché. »

273 matchs LNB, une vraie carrière professionnelle :
« Revenir en Betclic ÉLITE avec Roanne,
un challenge personnel »

« J’ai été lancé en pro à Cholet. Je pense que j’aurais encore plus pu montrer là-bas mais on m’a conseillé de partir pour avoir plus de temps de jeu. Alors j’ai d’abord signé trois ans à Boulogne-sur-Mer, pour ce qui reste l’une de mes meilleures saisons individuelles en Pro B, malheureusement avec une descente au bout. Je n’ai donc pas voulu honorer mon contrat, j’ai tout fait pour rester en Pro B et Germain Castano, mon premier coach au SOMB, m’a envoyé un message pour que je le suive. Je l’ai fait les yeux fermés, sans même savoir où j’allais. C’était à Orléans du coup. C’est là où j’ai vraiment commencé à démontrer ce que je savais faire. L’OLB, ça reste notamment notre montée en 2019, où l’on avait une très belle équipe. Ces deux dernières saisons, j’étais à Aix-Maurienne et franchement, cela partie des plus belles années de ma carrière. Sportivement et humainement, j’ai adoré. J’ai pris du temps avant de me décider à partir, j’avais tout ce qu’il me fallait à Aix : j’étais heureux et c’est tout ce que je cherche aujourd’hui. J’avais promis au coach Emmanuel Schmitt que je n’irais nulle part ailleurs en Pro B. Mais j’ai reçu une offre très tôt de Betclic ÉLITE. J’avais envie de tenter l’aventure : à 28 ans, c’est peut-être la dernière fois.

Avec l’AMSB, Moendadze s’est épanoui, tournant à 13,3 points de moyenne l’an dernier (photo : Antoine Bodelet)

Avant d’arriver à Roanne, j’étais persuadé que je pouvais jouer à ce niveau. J’y avais goûté récemment à Orléans, en 2019/20, mais c’était une situation un peu particulière, je n’étais pas spécialement dans les plans du coach. J’avais envie de montrer ma valeur et c’était aussi un challenge un peu personnel, me prouver à moi-même que j’avais raison. Mais je n’ai pas de pression car j’ai vécu des belles années en Pro B et si je n’y arrive pas, j’y retournerais sans problème. Mais j’étais convaincu que je pouvais montrer d’aussi belles choses qu’en Pro B si l’on me donnait ma chance. Avec mon jeu, je ne trouve pas la difficulté beaucoup plus haute en Betclic ÉLITE : je suis quelqu’un qui joue assez simple, qui n’a pas besoin d’avoir beaucoup la balle en main. Si j’arrive à avoir une bonne lecture, à mettre mes 2-3 premiers shoots, je sais que je peux être un très bon joueur. Avant ma blessure, c’était très bien. J’avais la confiance du coach et je m’épanouissais de plus en plus. J’étais très content et très fier de moi sur les derniers matchs. Je ne suis pas surpris car je savais que je pouvais le faire. J’ai été freiné, je vais tout faire pour retrouver ce niveau et continuer à avancer. »

Mayotte, terre en friche :
« Que je sois le seul basketteur professionnel,
c’est une grande anomalie »

« Mayotte reste une île assez méconnue. Les gens me demandent souvent où c’est. Ça fait partie de l’archipel des Comores et on n’imagine pas comment c’est petit avec seulement 375 km2. Il y a beaucoup de belles choses à voir, c’est une île paradisiaque pour moi. Si tu aimes la nature, tu es servi : on a l’un des plus beaux lagons du monde par exemple. Pour ça, c’est magique. Mais il y a énormément de problèmes politiques avec les Comores, on parle beaucoup d’immigration là-bas et de la population sans papier. Mayotte, ce n’est pas trop la joie depuis quelques années, c’est compliqué. Il y a pas mal de délinquance, avec certains jeunes qui font leur loi malheureusement. Quand on parle de Mayotte, on ne parle que de ça. Des jeunes sont dehors tout seuls et c’est ce qui entraîne la pauvreté et la délinquance.

Que je sois le seul basketteur professionnel originaire de Mayotte, c’est une grande anomalie. Il y a trop de talents à Mayotte pour que ce soit la normalité. Athlétiquement, il y a des joueurs qui me surpassent de très, très loin. Il y a des joueurs talentueux qui sont bloqués là-bas car on n’a pas d’exposition. Il y a beaucoup de potentiel mais on n’a pas la même visibilité que les Antilles par exemple, c’est la seule différence. La tournée GuyMarGua (Guyane – Martinique – Guadeloupe) existe depuis des années mais il n’y a pas grand chose côté Océan Indien. J’espère qu’on pourra changer ça dans le futur. Pour cela, j’essaye notamment de travailler sur des camps de basket, où l’on ferait venir des coachs chaque année. Il faut juste le mettre sur pied et ce n’est pas facile quand on n’est pas sur place. Aujourd’hui, je pense que je suis le sportif mahorais le plus reconnu, derrière l’ex-footballeur Toifilou Maoulida. C’est mon devoir de changer cette situation et ça me tient à cœur. J’y réfléchis tous les jours. Mais c’est aussi à la fédération de mettre plus de moyens dans le sport là-bas, faire évoluer les infrastructures, organiser des grands évènements et faire venir des personnes emblématiques comme ça a été le cas avec Florent Piétrus qui est venu assister à la finale de la Coupe. C’était déjà un très bon pas je trouve.

Dans ce cadre, je suis conscient que je suis un très, très grand miraculé. Je ne sais pas comment j’ai pu avoir cette chance là. Je suis vraiment le seul de l’histoire, ça ne s’est jamais reproduit. Je n’ai jamais eu d’aide, ni quoi que ce soit venait de Mayotte. C’est vraiment la chance, et ensuite la résilience car ce n’était pas facile de s’accrocher. Il y a beaucoup de moments où je me suis dit : « Purée, j’ai envie de rentrer chez moi, d’être au chaud avec mes parents ». Alors quand je repense à tout ça, je me dis que je suis content d’avoir fait tout ce chemin. Je profite du voyage, sans connaître la destination. Mais je me fais plaisir et on verra jusqu’où ça ira. »

Mayotte, l’île invisible ?

Le timing peut parfois être surprenant. Ainsi, il est cocasse de publier un article sur la confidentialité du basket mahorais le week-end, précisément, où dix U13 de l’île vont pouvoir se montrer lors du tournoi international de Pacé. « C’est la première fois depuis trois ans que nos jeunes peuvent sortir », se réjouit le président de la ligue de Mayotte, Hakim Ali Abdou. « C’est le genre d’évènements que l’on recherche. » Car sinon, le basket local souffre d’une forme d’anonymat, renforcé par un conflit qui perdure avec la ligue de La Réunion. Depuis 2021, plus aucun mahorais n’a accès au Pôle Espoir. « La Réunion refuse nos jeunes, sans aucune raison valable », fulmine Hakim Ali Abdou. « Ils disent qu’ils veulent que l’on participe financièrement mais on l’a toujours fait. Ils ont promis qu’ils allaient reprendre des enfants mais deux ans après, on ne voit toujours rien. S’ils ne veulent pas de nous, qu’ils le disent clairement ! Récemment, leur CTS était censé venir observer nos jeunes mais il est juste venu se promener à Mayotte. Je pense qu’on lui a donné des consignes. On propose des choses, ils refusent et ne proposent rien de leur côté. Nous sommes coincés. » Mise au courant de la situation, la fédération, par la voix du DTN Alain Contensoux, appelle à la résolution du problème et insiste sur le fait que les Mahorais ayant le potentiel doivent absolument intégrer le pôle. Une délégation fédérale viendra en juillet prochain rencontrer les représentants des deux camps.

Regroupement des écoles de basket à Mayotte

Pourtant, les exemples récents de collaboration ont pu aboutir sur de belles réussites : ainsi, Maé Brouste, Mahoraise passée par le CREPS de La Réunion, a ensuite pu être admise au centre de formation de Basket Landes. « Mais elle y a été juste parce que sa grand-mère vit à La Réunion », tempère Hakim Ali Abdou. « Nous avons monté un dossier en disant qu’elle était domiciliée là-bas. » Originaire de M’Gombani, Winston Daka (18 ans) a également pu rejoindre la pépinière d’Angers après avoir transité par La Réunion, tout comme Fayzat Djoumoi, ancienne pensionnaire de l’INSEP bientôt en finale du Trophée Coupe de France avec le CB Ifs (NF1), quelques années auparavant. « Je me bats pour cette jeunesse là », clame Ali Abdou. « Il n’y a rien pour eux, pas d’ouverture. Sincèrement, c’est décourageant pour nos jeunes quand ils se rendent compte qu’il n’y aucune perspective à long terme pour eux. » Le dirigeant exhorte les clubs professionnels à venir sur l’île ou à inviter des équipes mahoraises à des détections. « Notre basket est en train de se cloitrer, de s’isoler, et ce n’est vraiment pas bon. Des jeunes comme Kadri, il y en a d’autres mais on nous oublie, personne ne vient les voir. Nous avons déjà soulevé le problème de la différence de visibilité avec les Antilles auprès de la fédération. On nous répond que c’est parce que les Antilles sont un vivier historique de l’équipe de France. Nous, ça arrivera peut-être un jour mais comment voulez-vous que ce soit le cas s’il n’y a pas d’ouverture ? »

« On voyait encore des gamins qui jouaient pieds nus »

D’autant plus que les résultats des équipes seniors sont plutôt cohérents. Pour la première fois de son histoire, Mayotte est allé jusqu’en finale des Jeux des îles, l’équivalent local des JO, lors de la dernière édition en 2019. Une médaille d’argent décrochée notamment grâce à une victoire sur le rival réunionnais en demi-finale… « Il y avait tellement d’intensité sur ce match-là », sourit le sélectionneur Christian Devos. Président du BCM Gravelines-Dunkerque, le Nordiste est à la tête de l’équipe mahoraise depuis 8 ans, « après avoir dit oui pour dépanner ». De ses multiples aller-retour entre la Flandre maritime et l’Océan Indien pour encadrer des stages de jeune ou participer à la formation des entraîneurs, Devos retient « une vraie évolution du basket local » ces dernières années. « La première fois que j’y suis allé, j’avais été bizarrement surpris car il n’y avait qu’une seule salle, très peu accessible. Tout se jouait dehors, avec les contraintes que ça implique. En allant à l’intérieur de l’île, on voyait encore des gamins qui jouaient pieds nus. C’est beaucoup moins le cas maintenant avec des salles qui ont ouvertes ou ont été rénovées. Le jeu mahorais est tout à fait spécifique : il y a du talent naturel mais ils n’ont pas de grande taille, c’est un réel inconvénient. En revanche, il y a beaucoup de jump et de verticalité : pratiquement tous les gamins vont dunker, même à 1,75 mètres. En revanche, dans le jeu collectif, il y a très peu de structuration : c’est de la course, du dribble et du shoot. Leur nature est de jouer vite et tirer vite. »

En février, autour de Christian Devos, la sélection mahoraise s’est retrouvée pour préparer les Jeux des Iles, programmés du 23 août au 3 septembre à Madagascar

 

Du haut de ses multiples casquettes, Christian Devos tente également d’user de son influence afin de promouvoir la cause mahoraise à l’échelle nationale. « J’en ai souvent parlé au DTN Alain Contensoux afin que soit organisé régulièrement des animations et de l’encadrement des coachs. Mais c’est toujours un problème car l’ensemble des cadres supérieurs détachés par la FFBB est pour la Réunion. Mayotte passe au second plan. La fédération n’est pas hostile mais le nombre de cadres est réduit. » Et en attendant, malgré tous les problèmes politiques, avec ses 40 clubs et son statut de deuxième sport le plus pratiqué de l’île, le basket reste une fête à Mayotte. En novembre, la finale de la Coupe a fait salle comble, à Pamandzi, devant un public chauffé à blanc. « C’était excellent, c’était grandiose », s’enflamme Hakim Ali Abdou en revenant sur cet affrontement remporté 74-70 par M’Tsapéré contre Labattoir. « Vautour – BCM, c’est notre classique à nous ! La finale du championnat est le 22 avril. C’est du haut-niveau, il ne faut pas rater ça ! » Simplement dommage que cela soit pratiquement la meilleure perspective possible pour l’avenir sportif des jeunes Mahorais…

Droit de réponse de Johan Guillou,
président de la ligue de La Réunion

« Je vais déposer plainte la semaine prochaine contre Hakim Ali Abdou pour diffamation publique suite à ses propos dans la presse locale. Si c’était vrai, j’aurais fermé ma bouche mais tout est faux !. Premièrement, le Pôle Espoirs de La Réunion n’est pas un pôle Océan Indien : il est subventionné à 100% par les collectivités réunionnaises pour intégrer des jeunes Réunionnais. Malgré cela, nous avons quand même ouvert la porte à Mayotte quelques années en arrière en leur donnant la possibilité d’intégrer de 1 à 4 jeunes par an, sur des promotions de 15, via le dispositif « Jeune Talent Mahorais ». Nous avons trois fois plus de licenciés que Mayotte mais nous avons quand même accepté de leur accorder quelques places. Malheureusement, nous sommes partis en conflit avec Mayotte car ils nous ont régulièrement laissé des chèques en bois. La ligue devait simplement financer l’habillement et le déplacement des enfants pour les détections en métropole. Quand on leur a demandé de rembourser leurs dettes, ils l’ont fait via un nouveau chèque en bois ! Nous avons permis aux jeunes de poursuivre leur cursus, quand bien même nous avons tout payé à la place de la ligue mahoraise. Cela refroidit les relations… Mayotte a fini par mettre à jour ses dettes longtemps après. Il y a eu un second fait avec un problème de discipline : une affaire de photos nues dans les vestiaires d’un jeune Mahorais diffusées par un autre Mahorais sur les réseaux sociaux. Il a été viré du processus sportif mais Mayotte n’a pas voulu le récupérer. On a géré, on a quand même gardé l’enfant. Par conséquent, nous avons voulu mettre en place une convention de fonctionnement entre la fédération française et nos deux ligues. Nous avons demandé un interlocuteur sérieux pour le paiement des prestations et que la ligue de Mayotte puisse prendre en charge au prorata du nombre de Mahorais. Une place au Pôle, c’est 4 650 euros que la ligue réunionnaise reverse par an au CREPS. S’il y a deux Mahorais, nous avons demandé à ce qu’ils payent deux fois 4 650 euros par exemple. Mais il n’y a toujours pas de convention signée…

En attendant que la ligue de Mayotte se mette dans les clous, nous n’avons pas fermé la porte aux jeunes Mahorais. Par exemple, nous sommes en train de nouer un partenariat avec la ville de Mamoudzou. Nous avons seulement fermé la porte au dispositif JTM. D’ailleurs, Maé Brouste est passée par le Pôle Espoirs sans être dans le cadre d’une convention. C’est faux de dire que c’est parce que sa famille était domiciliée à La Réunion. Elle vivait à Mayotte et est venue exprès à La Réunion faire un test et c’est uniquement quand elle l’a réussi qu’elle a été domiciliée chez sa famille ici. On ne va pas empêcher des gamins d’atteindre le haut niveau parce qu’on a un conflit de personnes avec la ligue de Mayotte. L’être humain est ingrat : c’est un Pôle Espoirs uniquement Réunion, payé à 100% par les subventions Réunion et par la ligue de la Réunion, on ouvre quand même la porte et on nous reproche après de ne pas vouloir de Mahorais… C’est quand même le comble ! Et d’ailleurs, savez-vous qui a proposé qu’on réintègre les jeunes Mahorais ? En octobre 2021, lors de la réunion des Outre-Mer en marge de l’AG de la fédération, j’ai été le seul à proposer d’accueillir les jeunes Mahorais à la condition de la mise en place d’une convention. La ligue de Mayotte ne nous avait jamais re-sollicité !

À quand le prochain jeune Mahorais au Pôle ? À tout moment, dès la rentrée 2023 ou en 2024 ! Il n’y a pas de problème de notre côté, au contraire. L’année dernière, nous avons même envoyé notre Conseiller Technique Sportif à Mayotte pour faire une détection. On leur a dit qu’il fallait des U12 ou U13 pour pouvoir entrer au Pôle Espoirs. Notre CTS, Émilien Bajat, tout à fait objectif car métropolitain d’origine, a vu seulement une quinzaine de jeunes, alors qu’il y a un peu plus de potentiel là-bas. Et sur ces 15 jeunes, seuls 4 ou 5 jeunes avaient l’âge d’intégrer le Pôle. Tous les autres avaient dépassés la limite. Ce n’était absolument pas sérieux ! Malheureusement, les quelques éligibles n’avaient pas le potentiel mais tout a été fait pour envoyer des jeunes de Mayotte au Pôle : notre CTS s’est déplacé pour une détection, n’a pu voir que 5 jeunes susceptibles d’être pris et c’est à nous que l’on reproche les choses ? C’est le monde à l’envers ! »

 

 

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