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« La main de Dieu » : le jour où T.J. Campbell a offert une Coupe d’Europe à un club français

Huit ans jour pour jour avant le match retour de la finale de la FIBA Europe Cup entre Cholet et Wloclawek, le meneur choletais T.J. Campbell était le héros de la finale de l'EuroChallenge 2015 remportée par Nanterre sur le fil contre Trabzonspor. Retour sur un buzzer beater entré dans la légende du basket français.
« La main de Dieu » : le jour où T.J. Campbell a offert une Coupe d’Europe à un club français

En larmes, enlacé par Jamal Shuler, T.J. Campbell attend de savoir si son buzzer beater en finale de l’EuroChallenge est valide ou non

Crédit photo : FIBA

« Oh si, je me souviens », lance Dee Bost dans un soupir. « Mais je préfèrerais ne me souvenir de rien. » Le 26 avril 2015, l’actuel villeurbannais défendait les couleurs de Trabzonspor et était chargé de la défense individuelle sur T.J. Campbell lors de la dernière action de la finale de l’EuroChallenge 2015 contre Nanterre. Soit, autant le dire directement, le mauvais côté de l’histoire de ces 11,8 secondes… 11,8 secondes pour l’éternité, 11,8 secondes qui continuent de donner des frissons à tous ceux qui l’ont vécu, sauf à Dee Bost bien sûr. Et, surtout, 11,8 secondes qui pourraient retraverser l’esprit du Choletais T.J. Campbell mercredi, au moment de jouer un nouveau titre européen, huit ans jour pour jour après le premier.

La vengeance de Dwight Hardy

Alors oui, ce n’était « que » l’EuroChallenge. Mais Nanterre en finale d’une Coupe d’Europe, il fallait déjà se pincer pour y croire à l’époque. Depuis la Coupe Korac 2002 du SLUC Nancy, aucun club français n’avait remporté de sacre continental et c’est la petite JSF qui s’est présentée sur la dernière marche en 2015. La Jeunesse Sportive des Fontanelles, ce modeste club familial passé du plus bas niveau départemental à l’élite en 24 ans sous la tutelle de Pascal Donnadieu, couronné champion de France en 2013. Moins de deux ans après avoir signé la surprise du siècle, Nanterre s’immisce au Final Four de l’EuroChallenge. « Arriver à ce stade de la compétition, c’était inespéré », souligne Franck Le Goff, l’assistant historique de Pascal Donnadieu. « Ce n’était pas ce qui était prévu, mais comme d’habitude avec Nanterre. »

En demi-finale, la JSF signe « un match extraordinaire » contre le Francfort de Johannes Voigtmann (84-79). Mais une victoire à la Pyrrhus puisque les Franciliens perdent leur leader Mykal Riley, victime d’une fracture de fatigue. « Nous étions contents d’être en finale mais un peu désespérés. On se donnait 1% de chance de la gagner. » Face à l’hôte Trabzonspor, coaché par Nenad Markovic, dans une ambiance inouïe avec 7 500 furieux en tribunes, Nanterre arrive avec un seul credo : ne pas être ridicule. Mais les Verts font mieux que ça. À une minute de la fin, après deux énormes tirs primés de Kyle Weems, ils mènent de trois points (62-59). Moment choisi par Dwight Hardy pour sortir de sa boîte. L’ancien limougeaud a des comptes à régler avec la JSF. « Il était venu faire un essai chez nous l’année précédente », révèle Franck Le Goff. « On l’a fait bosser avec Jérémy Nzeulie et Jérémy l’a démonté. Donc on ne le prend pas et un an après, on le retrouve en finale. Du coup, il avait bien envie de nous en mettre plein la tronche. » L’Américain frôle le and-one, rentre ses deux lancers-francs puis profiter ensuite d’une bourde défensive pour déborder Jamal Shuler et placer un floater avec la planche. Trabzon repasse devant (62-63).

Passave-Ducteil, le rebond d’une vie

La suite, c’est T.J. Campbell qui la raconte. « J’ai eu le shoot de la victoire dans les mains mais je l’ai raté. Johan Passave-Ducteil a ensuite capté un énorme rebond offensif. Sa position était parfaite mais il était à deux doigts de sortir en touche. J’ai vu une ligne pour couper vers le cercle, j’ai foncé, c’était grand ouvert, il m’a donné le ballon et j’ai pu marquer. » Si simple dit comme ça… Sauf qu’absolument rien ne l’était. Le rebond offensif de Passave-Ducteil, déjà, est ahurissant en soi. Du haut de ses 200 centimètres presque dépourvus de qualités athlétiques, il a Kaloyan Ivanov, 2,07 m, devant lui, et son futur coéquipier bressan Sean Marshall, 2,01 m, qui le bouscule derrière. « Il faut voir comment il prend ce rebond et la passe qu’il fait », souffle Franck Le Goff. « C’est impossible, c’est un truc de malade ! » Pourtant, l’actuel pivot de Fos-Provence se marre lui-même en l’avouant : « Moi coach, jamais je ne suis sur le terrain à ce moment-là ! » Avec 0 point et 2 rebonds en demi puis 2 points à 1/5 et 4 rebonds en finale, le double All-Star n’a effectivement pas signé un grand Final Four mais a tout fait basculer avec une seconde chance offerte à son coéquipier. « T.J. Campbell a sauvé mon week-end », savoure-t-il. Quelques instants plus tôt, le Duc’ avait déjà hérité de la gonfle, ouvert à quatre mètres à 0 degré, après que Kyle Weems ait frôlé le passage en force sur Novica Velickovic. « Cette action est incroyable », glisse Passave-Ducteil. « On fait un système sur le papier et le premier enfoiré, c’est Kyle Weems (il rit). C’est lui qui doit shooter mais il me la donne. Moi, je connais mes qualités et mes défauts. Je savais que ce n’était pas à moi de prendre ce tir. Je transmets la balle à Joseph Gomis qui l’envoie à T.J. Campbell. Il les porte et il shoote. Très rapidement, j’arrive à sentir que la trajectoire va être sortante. C’est là où je commence à prendre ma position. Je me dis : « ils sont deux, si je saute, je suis cuit ». Alors j’essaye de m’ancrer bien au sol et de boxer celui qui est le plus loin, tout en maintenant celui qui est le plus près. Cela prouve que le placement fait la différence. La première touche, je la tippe un petit peu pour que les deux soient hors timing et dès que je récupère le ballon, ils me poussent ligne de fond. »

C’est là où l’on arrive à la deuxième partie improbable de la séquence. « C’est déjà une bonne chose que Jo attrape le rebond », retrace Franck Le Goff. « Mais si T.J. ne coupe pas, il en fait quoi ? Il jette la balle et voilà ? » Hors des limites du terrain au moment où Passave-Ducteil capte le rebond, T.J. Campbell a l’intelligence de continuer à jouer. Devant lui, Dee Bost (qui avait bien contesté le shoot) s’est assoupi et se laisse déborder par son vis-à-vis. « J’étais énervé contre moi, ça m’a pris un bon mois pour le digérer mentalement », avoue le meneur de l’ASVEL. « Ce que T.J. a fait, il faut le dire dans toutes les écoles de basket : suivez votre tir », reprend le pivot. « C’est le plus petit joueur de l’équipe qui me propose une coupe dans la raquette, c’est invraisemblable ! S’il était resté planté après son tir, on était cuits. Quand je me retrouve presque hors terrain et que je cherche une solution, je vois JoGo qui arrive mais je vois surtout T.J. » Mais quand Calmpbell réceptionne le ballon, le chrono n’affiche que 0,5 seconde au compteur. Est-ce alors l’instinct qui prend le dessus ? « Oui, on peut dire ça », répond-il. « En fait, je ne savais pas exactement combien de temps il restait. Tout ce que je voulais, c’était lâcher le ballon à temps pour nous donner une chance. Je l’ai lâché aussi vite que possible sur la planche… et la chance a été avec nous ! » Une finition spectaculaire, en total déséquilibre, pour un geste d’anthologie. « T.J. a l’intelligence d’être déjà en l’air », insiste Frank Le Goff. « S’il avait posé ses appuis, c’était trop tard. Quelle inspiration extraordinaire ! Il s’en voulait tellement d’avoir raté qu’il a suivi instinctivement. »

118 secondes d’attente

En réalité, le stress ne fait que démarrer. Entre le lay-up et sa validation par le trio arbitral s’écouleront pratiquement deux minutes. 118 secondes d’angoisse absolue pour T.J. Campbell et les Nanterriens, à tel point que le meneur originaire de Phoenix se met à pleurer. « Deux minutes, ce n’est pas grand chose mais ça m’a paru tellement plus long que ça », avoue le héros. Dans l’affaire, deux hommes tentent de rassurer l’équipe : Mam’ Jaiteh, « qui a trouvé le moyen avec son grand corps de se mettre derrière les arbitres pour [nous] dire que c’était validé » dixit Passave-Ducteil, « mais vu que c’était Mam’ Jaiteh, on ne pouvait être sûrs de rien (il rit) », et Franck Le Goff, absolument convaincu de la validité du panier. « J’avais les yeux rivés sur le chrono et quand T.J. marque, je sais que c’est bon. Je le dis à Pascal directement : c’est validé, c’est accordé ! Ce n’était pas pour m’en auto-persuader mais j’en étais sûr. » Pourtant, l’affaire se joue au dixième de seconde et les arbitres auraient pu douter bien plus longtemps devant les images : oui, Campbell n’a clairement plus le ballon entre ses mains lorsque la lumière rouge s’affiche sur le panneau, mais celle-ci semble s’être allumée légèrement après le passage du chrono à 00,0. « J’étais certain qu’il ne l’avait pas lâché à temps », pensait lui Dee Bost, tombé de haut au moment du verdict arbitral quand, malgré les craintes franciliennes (« On est en Turquie, ils vont nous la mettre à l’envers ! »), Neil Wilkinson effectue le geste tant attendu : le panier est accordé.

La libération, enfin. T.J. Campbell peut sécher ses larmes et exulter. « La sensation quand les arbitres disent que c’est bon, c’est la principale chose qui me reste aujourd’hui. On s’est tous mis à courir partout. On était tellement heureux, c’était comme dans un film. » Malgré les grands gestes de l’intendant Guy Fenolland, une pluie de briquets, de pièces et de téléphones portables s’abat sur l’amoncellement de Nanterriens. Une anecdote qui contribue à la mythologie de cette séquence, marquant « incontestablement le plus grand panier de l’histoire de Nanterre », selon Franck Le Goff. « Ce lay-up là a changé énormément de choses pour nous. Marquer son nom sur une Coupe d’Europe, peu importe laquelle, ce n’est pas donné à tout le monde. Ça a amené du prestige au club et nous a donné confiance en notre politique, en notre méthode de travail. » Pour toutes ces raisons, le meneur de Cholet a reçu un accueil royal en mars 2022 lors de son premier retour au Palais des Sports Maurice-Thorez, six ans après. La reconnaissance éternelle de tout un club pour un instant d’anthologie. « Personnellement, quand je revois T.J., je lui embrasse la main », glisse Le Goff. « Je lui dis de me donner la main de Dieu. Il y a eu le pied en or de Maradona et il y a eu la main de Dieu. » Celle qui, un 26 avril, a offert une Coupe d’Europe à un club français…

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