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Pierre Vincent, histoire d’un entraîneur singulier aux récompenses plurielles

Bourré d’anecdotes sur les trop nombreux moments, bon comme mauvais, qui ont rythmé sa carrière jusqu’à aujourd’hui, Pierre Vincent ne peut s’en empêcher. Dès qu’il termine l’une de ses histoires croustillantes, il en attaque immédiatement une nouvelle. De quoi se (re)plonger dans cette épopée rocambolesque qu’a connue le tacticien de 56 ans. De sa Haute-Loire natale jusqu’au sommet de l’Europe avec l’Équipe de France. De ses études pour devenir prof de gym jusqu’à son passage emblématique à Bourges. Il en a connu des hauts et des bas, ces derniers lui ayant même servis à atteindre le nirvana du basket national, européen voire international. Souvent décrié, critiqué ou étiqueté, il a su mettre tout le monde d’accord sur ses capacités à réussir et à imposer son style. 

Pour y arriver, il ne s’est pas construit seul. Il a gravi les échelons entouré de sa famille et aidé par celles et ceux qui ont su lui faire confiance. Et lui ont accordé le temps nécessaire pour faire fonctionner les rouages rouillés d’une équipe en fin de cycle ou bien ceux, trop neufs, d’un effectif jeune qui se précipite. Lui, l’entraîneur bâtisseur qui se plaît à se frotter à des projets qui le motivent, au coeur desquels il côtoie des personnalités marquantes qu’il cherche toujours à comprendre. Tirer le meilleur parti pour construire, dans la durée, jusqu’à récolter les fruits de son travail. Pour Pierre Vincent, la récolte continue d’être fructueuse, même à l’étranger. Entraîneur de la Famila Schio, l’arrêt de la saison l’a privé d’un nouveau sacre, lui le champion en titre. Une performance dans la continuité de ce qu’il a traversé par le passé, depuis les équipes de France jeunes. Médaillé d’or en tant qu’entraîneur de l’Équipe de France juniors garçons, médaillé quatre fois à la tête de l’Équipe de France féminine et primé à douze reprises avec Bourges. Un palmarès à rallonge, sublimée lors de son long passage chez les Tango. En 409 rencontres dirigées à Bourges, Pierre Vincent en a remporté 320. Soit seulement 89 défaites. Et un pourcentage de victoires de 78,24% (!). Quatre titres de champion de France, cinq Coupes de France et trois Tournois de la Fédération

À la tête des générations les plus prestigieuses du basket français depuis ses débuts, Pierre Vincent n’a jamais fait d’états d’âmes pour autant. Sélectionner ou recruter des joueurs ou joueuses qui conviendraient à la réussite mais aussi à la bonne entente de l’équipe sont des décisions fortes, possiblement blessantes et décevantes, mais des décisions nécessaires. Un métier à part entière comme il dit. Pas un métier que l’on fait à l’improviste, à la va-vite. Un métier où il faut faire des choix compliqués, acclamés parfois, décriés souvent. Un métier basé sur des fondamentaux. Que ce soit la confiance, la cohésion, la construction, le projet ou le temps, Pierre Vincent se sait chanceux d’avoir travaillé auprès de personnes qui les lui ont accordé. Lui l’a pris, le temps, pour retracer avec nous les grandes lignes de son parcours, jonchées d’anecdotes, de point de vue personnel, de coups de gueule aussi parfois, mais sublimées surtout par une passion inébranlable. 

pierre-vincent--histoire-d-un-entraineur-singulier-aux-recompenses-plurielles1593959977.jpegPierre Vincent et Céline Dumerc, Jeux Olympiques 2012 (©FIBA)

De prof de gym à l’équipe de France militaire en passant par Poitiers : « Je suis tombé un peu comme un cheveu sur la soupe »

« Mon père était président d’un club de basket (ndlr : les Bleuets d’Illats, en Gironde). J’ai appris à marcher sur un terrain de basket et j’ai rapidement commencé à entraîner. À 15 ans, je jouais et j’entraînais les séniors région. Quand j’étais étudiant en STAPS, parce que je voulais devenir prof de gym, j’étais également responsable du pôle féminin d’Aquitaine. Après, je suis passé Conseiller Technique Régional en Poitou-Charentes. Quand je suis arrivé, on a monté le projet du PCBB qui est un peu le papa du PB86 (Poitiers). On a monté un pôle et une association de tous les clubs de Poitou-Charentes. C’était quelque chose d’innovant à l’époque. Il n’y avait aucune équipe engagée en championnat de France et ça a permis aux gens de la région d’y accéder et d’y participer. Beaucoup de joueurs qui ont joué au PB86 comme Pierre-Yves Guillard ont débuté au pôle avec moi. 

Le premier club avec qui je suis devenu fort, c’est Poitiers (ndlr : il en a été l’entraîneur en Nationale 3 entre 1993 et 1997). Aujourd’hui, les gens de Poitiers m’ont oublié et ne savent plus ce qu’il s’est passé. L’histoire, on l’oublie vite. Je suis content de voir que Dominique Poey vient d’être élu vice-président du PB86. Il était entraîneur au Pôle France de Tennis. Il est Orthézien et grand fan de l’Élan Béarnais à la Moutete. Historique. Il venait voir le Poitou-Charentes Basket le dimanche quand il n’y avait personne. Je pense que ce sera un vice-président qui accompagnera ses entraîneurs. 

Quand je suis arrivé comme Conseiller Technique, la Fédération cherchait des assistants pour les équipes de France jeunes et j’ai été intégré tout de suite. J’y suis allé aux côtés de Lucien Legrand. À l’époque, c’était un autre métier : il était entraîneur des cadets, des juniors et assistant de l’équipe A. C’était juste extraordinaire, il avait une charge de boulot qui était juste phénoménale. Aujourd’hui, on ne pourrait même pas l’imaginer. J’étais son assistant mais j’étais déjà coach en quelque sorte. Lucien enchaînait les compétitions avec les différentes catégories et quand il n’était pas là avec l’équipe cadets, j’avais des responsabilités. Il avait un calendrier intenable donc il n’arrivait que pour les compétitions. C’était des super souvenirs. 

Entre temps, ils cherchaient quelqu’un de disponible pour être assistant de l’équipe de France militaire. On m’a téléphoné en me demandant si ça me motivait de partir aux championnats du monde avec eux et j’ai dis pourquoi pas. Je suis tombé un peu comme un cheveu sur la soupe en fait mais c’était une super expérience parce qu’il y avait une sacrée équipe ! Je n’ai plus tous les joueurs en tête mais il y avait Ahmadou Keita, Laurent Sciarra, Laurent Bernard ou encore Yann Bonato. Il y avait une vraie équipe avec des joueurs de très haut niveau, et le niveau de la compétition était assez haut aussi. C’était assez particulier. Je n’y suis pas pour grand chose mais oui, on a remporté la médaille de bronze après avoir perdu d’un point contre l’Italie après prolongation. Ils avaient une grosse équipe et un vrai projet. Ils s’étaient servis de cette équipe pour préparer leur future équipe A. »

Expériences compliquées à la tête des équipes de France juniors (1997/2002)

« En 1997, j’ai été nommé en tant qu’entraîneurs de l’équipe de France juniors chez les garçons. Pascal Pisan était à la fois coach des cadettes et des juniors filles et les compétitions se chevauchaient. Il n’était absolument pas prévu que je prenne les filles. Le temps qu’il finisse sa compétition avec les cadettes, j’ai entraîné les juniors filles pendant 6 mois. Ça a été une expérience compliquée d’ailleurs parce Frédérique Prud’homme venait d’être débarquée et je n’ai pas été très bien accueilli dans ce contexte-là. Les filles s’entendaient bien avec Fred et n’ont pas compris son départ. Donc, quand je suis arrivé, c’était un vrai chantier. C’était dur de me faire accepter par les joueuses. Avec le staff, on y est arrivé et on a réussi à qualifier l’équipe pour les championnats d’Europe. On est allé battre l’Espagne sur ses terres. Espagne qui sera finalement championne d’Europe l’année d’après, ce n’est pas rien.

Après, j’ai repris les garçons. Je suis arrivé quasiment au dernier moment, dans une équipe complexe à gérer. Il y avait Luc-Arthur Vebobe, Mamoutou Diarra, David Gautier… À l’époque, les jeunes se préparaient dans leur catégorie d’âge et dans la dernière ligne droite, on les intégrait dans la catégorie supérieure. Dans l’équipe juniors, on a donc, entre autres, intégré Paccelis Morlende et Tony Parker. Il n’a pas été bien accueilli dans l’équipe. Il y avait de fortes personnalités et comme Tony était déjà très fort, ça a mis du désordre dans l’équipe. Personne ne voulait de lui. J’avais demandé aux joueurs de faire leur sélection, c’était la première fois que je faisais ça et personne n’avait sélectionné Tony Parker. Ils ne voyaient que leur intérêt personnel alors que Tony avait déjà beaucoup d’ambitions. Quand j’ai demandé ça, Tony n’a pas compris qu’il ne puisse pas se mettre dans sa sélection car, pour lui, c’était évident qu’il en faisait partie.

Comme on a eu très peu de temps pour se préparer, ça a été peu glorieux. Par la suite, on s’est basé sur l’expérience et on a eu deux ans de travail pour préparer la génération 82. L’équipe était bien meilleure et c’est ce que tout le monde retient lorsqu’on a gagné la médaille d’or en 2000 aux championnats d’Europe (avec Tony Parker, Boris Diaw, Ronny Turiaf ou encore Mickaël Pietrus, à Zadar en Croatie). Certes, c’est vrai mais ils n’ont plus jamais gagné ensuite donc ce n’était pas si simple que ça. Sans joueurs, on n’arrive à rien mais ça ne suffit pas. Par la suite, ils ont dû attendre la génération suivante pour qu’ils remportent quelque chose. »

Légendaire et historique coach des Tangos (2003/11)

« En arrivant à Bourges (ndlr : en 2003), j’étais estampillé comme étant « entraîneur des garçons » et j’ai eu le droit à des commentaires du genre : « Il n’y arrivera jamais parce que les filles, il ne connaît pas ». Le club avait été leader du basket français et européen mais n’avait plus vraiment de moyens et venait de perdre en finale. Le président m’a dit qu’il fallait partir sur quelque chose de nouveau. Comme il n’y avait plus de moyens, j’ai pris la décision qu’on allait partir avec des jeunes de la génération d’Emmeline Ndongue. Il m’a dit que je pouvais faire ce que je voulais mais il fallait que le club termine dans les quatre premiers et fasse un parcours correct en coupe d’Europe. Il était exigeant et voulait des résultats mais il m’a fait confiance. Il ne mettait pas ses pieds dans les affaires du basket et aujourd’hui, c’est un profil rare. Il laisse les entraîneurs entraîner et c’est quelque chose que j’ai apprécié. Dans nos métiers, malheureusement, les gens confondent tout. Disons qu’un entraîneur a les compétences pour entraîner et qu’il n’est pas dirigeant et inversement. Quand c’est bien réparti, ça donne de meilleurs résultats. Aujourd’hui, tout le monde s’improvise entraîneur mais c’est un métier à part entière. Il y a pleins de façons d’entraîner mais il faut qu’il y ait une cohérence et du temps pour que cela fonctionne. Aujourd’hui, les entraîneurs ont de moins en moins le temps et le choix de construire et de réussir. Ils ne sont là que pour six mois ou un an. Dans le monde actuel, je pense que pas mal de gens ont oublié à quel point c’était essentiel. 

On a fait une enquête avec mon staff familial, on a observé qu’en NBA, il faut qu’un coach travaille en moyenne sept ans et demi avec son club avant d’être champion. En EuroLeague, c’est presque quatre ans et demi. Un entraîneur, pour qu’il soit efficace, il lui faut des moyens et surtout du temps. Obradovic, il a mis quatre ans (après son arrivée au Fenerbahçe) avant d’être champion. Les entraîneurs ne sont pas des gourous, il faut trouver un langage commun et un équilibre d’équipe. Je pense notamment à Dijon où Jean-Louis Borg dirige les affaires et laisse le temps à Laurent Legname de travailler et aujourd’hui ça fonctionne. À posteriori, je me suis rendu compte que j’ai eu la chance dans ma carrière que les gens me fassent confiance et me laisse travailler. Partout où ça a été le cas, les résultats étaient là. Et je pensais que c’était évident mais ça ne l’était pas finalement. 

À Bourges, on est parti sur une nouvelle aventure, on a reconstruit une équipe et on est reparti sur une dynastie. Il faut accepter de changer. Le contrat, c’était de reprendre le titre en trois ans. La troisième année, on a tout regagné. Mais avec cette jeune équipe, on a fait de belles performances très rapidement. Dès la première année, on fait une super saison ! On est allé jusqu’en finale et on s’est fait nettoyé par Valenciennes qui était la meilleure équipe d’Europe. On est allé en quart de finale d’EuroLeague où on perd en prolongation face à Pecs (club hongrois). C’était au-delà des attentes du président. En 2005, on gagne largement la Coupe de France face à Valenciennes (sur le score de 74 à 49), ce qui était notre première vraie victoire face à cette équipe qui dominait, tout en étant en quart de finale de l’EuroLeague (perdu à nouveau face à Pecs, puis son rival remporte un cinquième titre de champion de France consécutif en s’imposant lors de la manche décisive). C’était le signe de notre retour au plus haut niveau. C’était une fierté pour Bourges. J’étais heureux d’offrir au club son premier titre de l’ère nouvelle. La saison suivante, on remporte tout sur le plan national (le tournoi de la Fédération, puis la Coupe de France et enfin le championnat de France). En Europe, aux portes du Final Four, on perd contre Brno d’un point chez nous. Brno qui termine champion d’Europe un mois plus tard. 

Au final, j’ai autant marqué l’histoire de ce club que ce club a marqué mon histoire. La personne qui était importante, c’était le président. Pierre Fosset. Je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait là-bas sans lui. Sans oublier tous les bénévoles qui bossaient autour de lui et qui ont construit un projet qui est énorme. C’est incroyable ce qu’ils ont fait. Et moi, je n’ai fait qu’accompagner l’histoire. »

pierre-vincent--histoire-d-un-entraineur-singulier-aux-recompenses-plurielles1593960464.jpeg(©Olivier Martin)

À la tête des Bleues (2008/13) : « Rien n’est fini et tout commence »

« En parallèle, j’ai été assistant de Jacky Commères au sein l’équipe de France féminine à partir de 2007. En 2008/09, on repart sur une nouvelle génération. Quand je suis arrivé en tant qu’entraîneur principal, c’était la croisée des chemins. L’équipe sortait d’une période difficile (ndlr : huitième place au championnat d’Europe 2007, ne se qualifiant pas pour les JO de 2008) et beaucoup d’anciennes n’ont pas souhaité revenir. Je suis donc reparti avec les jeunes générations et une seule joueuse que j’ai fait sortir de sa retraite internationale, Cathy Melain. Quand j’ai construit l’équipe, j’ai trouvé qu’elle manquait d’expérience. Il me manquait une bonne joueuse de basket fiable et avec un bon ego. Cathy, c’était la joueuse qui me manquait.

Pour revenir au début, on a eu 15 jours pour préparer la compétition, c’était impossible. Les équipes venaient à peine de finir les playoffs donc les joueuses arrivent en étant éreintées. On a réfléchi au projet avec mon staff et finalement, on ne s’est pas entraîné. On a pensé à des stratégies sur comment préparer une équipe sans s’entraîner. C’est compliqué mais on avait déjà bossé le contenu en 2008 donc on a fait beaucoup de vidéos, de récupération, de massages etc. C’était un argument pour convaincre Cathy. Parce qu’elle finissait sa carrière en 2009. Un jour, je passais ma tondeuse et je me suis dit qu’il fallait absolument que je trouve le moyen de la solliciter. Je lui ai expliqué qu’on n’allait pas s’entraîner. D’un côté, elle avait mes arguments mais de l’autre, elle avait ceux de ses coéquipières qui disaient : « Elle va avoir l’air de quoi si l’équipe de France se casse la gueule. Tout le monde va lui tomber dessus ». J’essayais de trouver des arguments tous les jours et je leur ai dit : « Vous n’avez jamais pensé qu’on pourrait réussir, gagner des matchs et peut-être l’emporter ? Finir sur un titre de championne d’Europe, ce n’est pas mal non ? ».

Je me suis battu pour la faire venir et je suis très content de l’avoir eu dans l’équipe. J’ai également eu le droit aux commentaires comme quoi je voulais la faire venir parce qu’elle jouait à Bourges. Ça n’a rien à voir. Je pense notamment à Paoline Salagnac, qui était une super joueuse et qui a fait une carrière extraordinaire, mais à qui j’ai du annoncer qu’elle n’était pas sélectionnée. On ne fait pas que des choses faciles quand on est entraîneur national, il faut faire la part des choses et mettre l’affectif de côté. Je sais que pour Paoline et sa famille, ça a été très difficile. C’est une joueuse adorable que j’ai eu énormément de plaisir à diriger mais je ne pensais que c’était LA joueuse qu’il me fallait pour l’équipe à ce moment là. 

On est allé au bout et c’était une expérience super parce qu’en terme de cohésion d’équipe, ça a été une voie lactée. C’était que du bonheur. Il y avait beaucoup d’énergie positive, notamment grâce à ce qu’il s’était passé en 2007. Parce que les frustrations, dans un projet collectif, c’est plus qu’important. Le moral et l’insouciance de la jeunesse nous amènent au bout. Personne ne pouvait penser qu’on aille aussi loin. C’était une aventure humaine incroyable. Quand on gagne un titre, et j’ai eu la chance d’en gagner beaucoup, c’est toujours formidable mais des bons souvenirs, il y en a eu beaucoup dans ma carrière. Pour l’anecdote, après notre victoire au championnat d’Europe 2009, dans une discussion avec l’équipe, elles m’ont dit qu’elles n’avaient jamais douté parce qu’il y avait Cathy avec nous. Tout le monde se focalise sur les joueurs stars mais ce ne sont pas eux qui nous font gagner, ce sont les autres. Ceux qui m’ont fait gagner des titres, ce sont les joueurs de l’ombre qui font leur job. Cathy mettait deux points par match mais pour l’équipe, il n’y avait aucun doute. Ça montre à quel point sont importants les vrais joueurs d’équipes qui ne font pas beaucoup de bruit. »

Une Coupe du Monde pour préparer les JO ? « La cerise sur le gâteau »

« Les Mondiaux de 2010, ça a été dur. On y allait sans réelle volonté. Quand je suis arrivé, l’objectif final de la Fédération, c’était les Jeux de 2012. Les Mondiaux n’étaient qu’une compétition supplémentaire au plus haut niveau. Se qualifier était déjà une bonne chose à mon avis. Si on ne s’était pas qualifié, ça ne voulait pas dire pour autant qu’on ne disputerait pas les JO. Mais ce n’est pas parce que je dis que je veux simplement me qualifier qu’on ne peut pas aller le plus loin possible. Les gens confondent tout car ils sont stressés de devoir communiquer des objectifs au rabais malgré le fait que ce soit essentiel dans des projets à moyen ou à long termes. Mais il faut assumer et il faut le faire. Car les gens oublient l’essentiel. Mike Krzyzewski, au bout de quatre ans à Duke, il n’avait que 43% de réussite. Dans une grande fac, un coach qui affiche ce bilan se serait fait virer. Là, Duke ne l’a pas viré et il est devenu Coach K. 

Les Mondiaux, c’était la cerise sur le gâteau. Ça me donnait l’opportunité de préparer mon équipe et de me confronter aux meilleures équipes. Malheureusement, Sandrine Gruda avait prévu de ne pas venir. J’avais cru pouvoir la convaincre de venir. Elle a montré son intérêt mais elle ne voulait pas. Je l’ai contraint, sans que j’en ai conscience, à venir faire la préparation avec nous jusqu’à ce qu’on arrive à un point de non-retour psychologiquement. Elle avait fait beaucoup d’efforts, je voulais qu’elle aille jusqu’au bout mais je ne m’étais pas rendu compte qu’elle allait mal. On est allé aux Mondiaux sans Sandrine, sans Isa (Yacoubou) mais aussi sans Émilie (Gomis) qui se blesse à 37 secondes de la fin du dernier match amical. Le staff médical m’a dit qu’elle était out. Tout le monde était dépité.

Comment faire sans trois joueuses du cinq majeur ? J’ai changé de plan de jeu et relooké le collectif pour remobiliser les troupes. J’avais trouvé une super accroche : « Rien n’est fini et tout commence ». On est allé au charbon avec ce qu’on avait et on a fait une super compétition. On se qualifie pour les quarts de finale face à l’Espagne. On avait 15 points d’avance face à cette équipe qui était amenée à jouer la médaille. On se fait reprendre parce qu’on est exténué. J’ai fait le choix de laisser Céline sur le terrain et elles l’ont ruiné physiquement. Elles reviennent. On ne doit jamais aller en prolongation. À deux secondes de la fin, on est à égalité et on a la balle de match. J’avais préparé une forme de jeu dans ma chambre d’hôtel. Dans ma tête, tout allait très vite. Marion Laborde n’avait pas joué une seule seconde du match. Qu’est-ce que je fais ? Je la mets, je ne la mets pas ? Au final, je n’ai pas eu les « cojones » de la mettre. On rate notre dernier tir. Je pense que malgré la pression, Marion aurait pu tuer le match. Je sais qu’elle aurait été capable de mettre ce tir. 

Au final, gagner ou perdre, ça ne se joue à rien. Mais quand on s’est qualifié pour les Jeux Olympiques, je leur ai rappelé cette défaite. Croyez-moi, ça a été un vrai moteur pour éliminer l’Espagne au championnat d’Europe de 2011. On leur a mis une raclée parce qu’on s’est remémoré ce moment difficile. Dans la vie comme dans une carrière sportive, il y a des bons et des mauvais moments. Parfois, les douleurs permettent d’aller loin. »

pierre-vincent--histoire-d-un-entraineur-singulier-aux-recompenses-plurielles1593959459.jpegPierre Vincent et Valérie Garnier, match de préparation France-Italie en 2013 (©Olivier Martin)

Médaille olympique (2012) et fin de carrière internationale (2013)

« Il a fallu qualifier l’équipe et nous, le staff, on a ramé pour les garder en forme physiquement et pour les motiver. Elles s’en fichaient d’aller performer, elles me disaient : « Coach, vous ne vous rendez pas compte qu’on va aux JO ». Sauf que moi, je n’allais pas aux JO pour voir Manu Ginobili,  Usain Bolt et compagnie. J’ai dû batailler, m’énerver mais aussi permettre beaucoup de choses. J’ai organisé un stage à Deauville où elles pouvaient venir avec les familles. Il n’y avait pas de contraintes mises à part leur présence à l’entraÎnement. Si elles voulaient manger ou dormir ailleurs, d’accord. Je ne voulais pas leur mettre la pression avant le début de la compétition. Personne n’était centré là-dessus. C’était la première fois depuis 2000 que l’équipe y allait et c’était une première pour beaucoup d’entre nous. J’ai demandé, à beaucoup de joueurs et de joueuses que j’ai côtoyé, de m’expliquer et de me conseiller par rapport à cet événement. Notamment Edwige (Lawson), que j’ai sélectionné cette année-là. Ça m’a permis de gérer certaines problématiques auxquelles j’étais confronté.

Pour faire simple, on ne faisait rien ensemble. On avait un repas commun qu’il était interdit de rater. Les joueuses faisaient ce qu’elles voulaient. C’était très différent mais on a bien mené notre barque et on a fait une super compétition encore. On a su gagner les match qu’il fallait. Tout le monde se rappelle du match contre l’Angleterre car il y a eu une fin de match incroyable mais on s’en fichait de ce match, je m’en suis servi pour faire tourner l’effectif. On avait battu l’Australie donc on évitait les Américaines, c’est tout ce qui nous importait. Qu’on soit opposé à la République Tchèque ou la Turquie en quarts, c’était pareil. On arrive au quart qui était le match piège face à la Tchéquie. Je me rappelle avoir pris un temps-mort dans le dernier quart-temps, on était à -10 et j’étais en colère parce que les filles avaient peur. Je ne voulais pas perdre comme ça, je pouvais accepter de perdre uniquement si on jouait comme on sait jouer. Tout d’un coup, ça s’est déclenché et elles ont pris leurs responsabilités. Il y a eu un déclic. C’était incroyable. Après, la Russie, on était dans un autre état. On avait les yeux plein de larmes et les JO étaient fini déjà. La suite, on la connaît et ce n’est que du positif (ndlr : les Bleues s’inclinent en finale contre les États-Unis et décrochent donc la médaille d’argent, synonyme de première médaille olympique pour un sport collectif féminin en France).

Je me suis intéressé à la cohésion d’équipe depuis très longtemps. Penser qu’une équipe ne peut gagner que quand elle s’entend bien, ce sont des conneries. On peut gagner quand ça ne va pas et 2012, c’était exactement ça. C’était une équipe qui était au bord de l’explosion. L’illustration parfaite de ça, c’est quand j’ai dû faire la sélection et annoncer à 3 joueuses qu’elles ne feraient pas partie de l’aventure. Il y avait donc les coutumes du choix des maillots à ce moment et c’est celle qui avait le plus de sélections qui débutait. Une joueuse, dont je tairais le nom et qui n’allait pas participer aux JO, est venue me voir en me demandant qu’elle voulait récupérer son maillot car c’était elle qui avait le plus de sélections. Je lui ai accordé. Sauf que la joueuse qui perdait son maillot à cause d’elle m’a fait un scandale. J’essayais de lui expliquer mais elle ne comprenait pas. Elle ne voulait pas aller aux JO parce qu’elle n’avait le bon numéro. Je lui ai dis « Tu crois que si tu remportes une médaille, tu vas te poser la question de savoir si tu jouais avec le 10 ou 12 ou le 14 ? » La première chose que j’ai fait à la fin du tournoi, je me suis approché de cette joueuse là et je lui ai dis dans l’oreille « Alors, c’est le numéro ou la médaille qui est important ? » Et on a rigolé. 

pierre-vincent--histoire-d-un-entraineur-singulier-aux-recompenses-plurielles1593959977.jpegL’équipe de France féminine, médaillée d’argent aux Jeux Olympiques 2012 (©FIBA)

J’ai des parents qui sont âgés. J’étais entraîneur de l’équipe nationale depuis longtemps et du coup, je n’étais jamais là pour eux. Je suis fils unique, j’ai passé ma vie à juste poser mes valises, faire coucou et repartir. Je voulais passer du temps avec eux et profiter d’eux. Pareil pour ma femme et mes enfants. Il y a un moment où il faut faire des choix. Comme quand j’ai eu les propositions pour aller en Espagne ou en Russie. Ça ne s’est pas fait parce que nos enfants étaient petits. En 2012, j’étais décidé, j’ai dit stop mais la fédération m’a demandé de faire une année de plus parce que c’était impossible de nommer un autre coach pour 2013. Donc j’ai dit ok. J’ai fait 2013, je suis content de l’avoir vécu parce qu’on avait l’impression d’être la Dream Team, on était super bien accueilli, il y avait une énergie folle et le public était à fond. Dans une carrière de coach, c’est un moment inoubliable même si j’aurais aimé que ça se termine autrement (ndlr : finale perdue d’un point face aux Espagnoles). »

L’ASVEL (2011/14) ou la volonté de se frotter au basket masculin

« Villeurbanne, c’était un challenge personnel d’aller entraîner le basket masculin. Le défi me plaisait et puis tous les feux étaient au vert. C’était la solution à prendre. Je suis arrivé dans un projet en développement qui n’en voyait pas le bout. Ils avaient investi beaucoup de moyens autour de Vincent Collet, qu’ils ont viré au bout d’un mois et demi alors que Vincent aurait réussi. Mais ça n’allait pas assez vite pour les dirigeants qui pensent tout savoir. Le projet de Tony (Parker), c’était de racheter le club et de le faire gagner en EuroLeague. Pour ça et pour compenser le fait que le club n’ait pas les mêmes moyens que les grosses écuries, j’ai pensé qu’il était important de construire un centre de formation avec des entraîneurs particuliers. Personne ne le sait mais mon travail, ça a été ça. C’est pourquoi j’ai notamment recruté Mehdy Mary. Au final, pas mal de jeunes se sont révélés durant cette période comme Edwin Jackson et Livio Jean-Charles.

Je suis également arrivé en ne sachant pas qu’il y allait avoir 50% de masse salariale en moins. Sauf que ça ne collait pas avec les objectifs élevés du club. Et comme on ne pouvait pas communiquer, les gens ne comprenait pourquoi je ne gardais pas Michaël Gélabale ou ces jeunes joueurs comme Kim Tillie ou Léo Westermann qui étaient payés très cher. Même Edwin Jackson, qui n’avait jamais joué, avait un contrat très haut. On a fait ce qu’on a pu. Les dirigeants ont fait l’équipe avec des joueurs NBA qui n’étaient pas adaptés au championnat de France comme Hilton Amstrong ou Dijon Thompson. La saison d’après, on a fait un recrutement plus adapté avec Uche (Nsonwu Amadi) et Georgi (Joseph) par exemple. C’était un projet construit et collectif. Avec la septième ou huitième masse salariale, on a fini deuxième et on se fait éliminer en demi-finale de playoffs parce qu’on n’avait pas travaillé la zone.

La troisième année, on pensait pouvoir continuer sur ce qu’on avait construit. Sauf qu’au lieu de repartir sur une équipe dense, on a concentré nos moyens sur Marko Keselj et Pierre Jackson. Mais ce dernier ne s’est jamais adapté et il est rentré chez lui une semaine avant le début du championnat. On avait pris Chris Wright sur un coup de tête parce qu’on devait choisir vite. On débute sur cinq ou six défaites de suite. Finalement, on a rattrapé et on s’est qualifié pour les playoffs avant de se faire éliminer en quart face à Limoges. Après, c’est l’année où Tony prend les affaires. Ça s’est fait très vite. Je continue de construire mon équipe sur la continuité. On avait tout pour avancer. Sauf qu’entre ce qui était dit et ce qui était fait, il y avait de la distance. Moi je n’ai pas perçu qu’il voulait gagner de suite mais plutôt qu’on allait partir sur une année pour évaluer nos joueurs en faisant un très bon championnat et après on aurait su sur qui investir. Pendant l’intersaison, Tony est allé vite. Il voulait m’ajouter des joueurs pour viser l’EuroLeague sauf que ce n’était pas ça qu’on avait dit. Ce qu’il voulait, c’était jouer l’EuroLeague. On n’était pas cohérent dans nos objectifs et on ne s’est pas dit les choses clairement. On n’était pas connecté. 


Avec l’ASVEL ou Orléans, le natif de Brioude a connu un passage mitigé en Pro A
(photo : Sébastien Grasset)

Pour se préparer, on a dû faire huit matchs en douze jours. C’était un truc horrible. On a fait un début de saison catastrophique et ils m’ont coupé les cacahuètes parce qu’on ne gagnait pas. Tout le monde dit que je n’ai pas réussi à l’ASVEL. Oui, on était en difficulté mais il n’y avait pas de bon sens. Sauf que de là sont sortis des joueurs et des coachs comme Mehdy Mary qui montrera, à Limoges, que je ne me suis pas trompé en étant aller le chercher en Suisse. Je n’ai pas travaillé pour rien. »

Une histoire en deux temps à Orléans (2015/17)

« Orléans, il y a deux moments. Au début j’étais exténué et je refusais les appels du pied du club. Fin février (2015), ils m’ont convaincu de par leur projet, leurs jeunes joueurs et leurs moyens. Il y avait matière à faire quelque chose de qualité parce que je suis un bâtisseur et je suis arrivé comme un pompier de service. J’ai pris des risques en y allant. Ils étaient sur onze défaites consécutives et j’avais une équipe de bras cassés, ou plutôt de genoux cassés. C’était un peu comme une équipe réserve qui joue le dimanche matin. Sean May ne pouvait plus courir, Brian Greene, c’était un super guerrier mais il n’avait plus de genoux, plus de dos, plus rien, et David Noel, dont le kiné me disait qu’il ne comprenait comment il faisait pour continuer à jouer. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir. En attaque, c’était un régal. On avait une belle équipe avec (Marco) Pellin, (Kyle) McAlarney, Nando (Raposo). Mais en défense, c’était CA-TAS-TRO-PHI-QUE. On s’est bien débrouillé. La saison d’après aussi, on a fini onzième. Sauf qu’à la fin de la saison, ils ont changé de président et tout a changé. La première chose que voulait le nouveau président, c’était me virer sauf que j’avais un contrat de trois ans. Ils ont finalement réussi (en 2017). »

L’étranger, enfin, et la réussite, toujours

« Puis vient le fantasme de l’étranger. Fantasme parce que réussir à l’étranger, ce n’est pas évident. Il faut du temps. Les joueurs que j’ai entraîné, je leur disais d’être patients et d’être prêts avant d’aller à l’étranger, dans des aventures où l’on est seul et attendu au tournant. J’ai eu quelques opportunités qui ne ce sont pas concrétisées. À ce moment là, mes enfants étaient grands. J’ai demandé à ma femme qui m’a dit oui. J’ai dit banco. J’ai fait ma carrière sans agent mais pour rejoindre l’étranger, je suis passé par une agence. Schio a tout de suite était intéressé mais n’avait pas beaucoup de moyens. J’ai dit que ce n’était pas grave, que je voulais les rencontrer et puis ça a marché. Quand j’étais en passe de venir, je pense qu’Isabelle Yacoubou et Endy Miyem ont approuvé ce choix auprès des présidents du club. D’ailleurs Isa ne s’y attendait pas, elle m’a directement appelé, elle n’y croyait pas. Quand elle est tombée enceinte, elle s’inquiétait de ne pas pouvoir jouer. Moi j’étais content pour elle. On trouverait bien quelqu’un pour la remplacer. Parmi les joueuses disponibles, il y avait Sandrine (Gruda) donc c’était une super opportunité. À l’étranger comme en France, j’ai fait du Pierre Vincent. Je n’ai pas inventé le basket. Je m’adapte aux gens. Manager une équipe, c’est prendre en compte les personnalités de chacun et de chacune. Quand on me demande la différence entre les filles et les garçons, je répond qu’il n’y en a aucune. 

À Schio, je suis arrivé au sein d’une équipe qui était vieille qui venait de perdre le titre et j’ai proposé aux dirigeants de repartir sur un cycle nouveau. Ils ont fait des choix d’effectif qui étaient les leurs mais qui n’étaient pas bons selon moi. On a été en difficulté, on a débuté avec sept défaites en EuroLeague, ce qui ne m’était encore jamais arrivé. Mais ce qui est bien, c’est qu’ils ont admis s’être trompés. Ils m’ont rajouté une joueuse et on a fait un retour top. On a gagné le titre largement et cette année, ils m’ont donné les moyens et ils m’ont laissé faire mes choix. Je suis frustré parce qu’on était premier du championnat et on a bataillé pour arriver là où on était. On arrive à la fin et puis, il y a rien. La course s’arrête et on n’est même pas récompensé par un titre. Dans ma tête, on est champion malgré tout. Heureusement, il n’y a pas d’influence majeure et de dommages collatéraux. Je pense notamment à Mickaël Hay (ndlr : coach de l’ADA Blois, en Pro B) et au travail qu’il a fait ses dernières années. Non seulement, il n’a pas le titre mais il n’a pas la montée alors qu’il la mérite. Quand il y a une course et qu’elle s’arrête, celui qui est devant a gagné, c’est comme ça.

C’est un club particulier mais on y est bien maintenant. Le projet c’est d’amener Schio au Final Four de l’EuroLeague, ce qui ne leur est jamais arrivé. Je voulais quelque chose de motivant pour rester au club. Je pense qu’il y a la place, surtout avec l’équipe qu’on a construit. Mais avec le Covid-19 et ce qu’il se passe aux États-Unis, rien n’est sûr. Aujourd’hui, ce que je recherche, c’était un vrai projet motivant parce que le basket, j’ai fait le tour. J’espère que j’aurais l’occasion de revenir en France et de m’engager dans un beau projet pour finir ma carrière. » 

pierre-vincent--histoire-d-un-entraineur-singulier-aux-recompenses-plurielles1593959459.jpegSandrine Gruda et Pierre Vincent, champions d’Italie en 2018/19 (©DR)

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