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« Le basket m’a sauvé » : de Gonesse à la Coupe du Monde, l’odyssée de Karim Ezzeddine (Liban)

Coupe du Monde 2023 - À l'image de sa demi-finale de l'EuroBasket face à la Pologne d'Aaron Cel, l'équipe de France va croiser la route d'un tricolore ce mardi à Jakarta. Dans l'équipe du Liban figure Karim Ezzeddine, un enfant de Gonesse au parcours cabossé. Portrait.
« Le basket m’a sauvé » : de Gonesse à la Coupe du Monde, l’odyssée de Karim Ezzeddine (Liban)
Crédit photo : FIBA

Figurez-vous qu’il existe un Français qui a envie de disputer ce France – Liban mardi. Oui oui, il y en a bien un. Le problème étant qu’il est dans le camp d’en face : Karim Ezzeddine (2,06 m, 26 ans), un enfant de Gonesse au père libanais. « Au niveau du story-telling, je ne pourrais pas faire mieux, c’est presque un rêve de gosse« , nous disait-il avant le coup d’envoi de la Coupe du Monde, assez douloureuse, aussi, jusque-là pour le pays du Cèdre (70-109 face à la Lettonie, 73-128 contre le Canada). Mais face aux Bleus, tout sera si particulier pour le Francilien, un match chargé en émotions, alors que tout aurait pu le faire dérailler de sa voie avant de s’immiscer dans le gratin mondial à Jakarta.

La guerre civile en République démocratique du Congo, déjà, déclenchée un an après sa naissance à Kinshasa, si son père n’avait pas eu un passeport français tiré d’un précédent mariage. Les pièges de la cité, surtout, potentiellement destructifs pour des jeunes adolescents sans repères. Mais il y a eu le basket, cette balle orange qui l’a sorti de la Fauconnière pour l’amener à Nanterre, Orléans et aux quatre coins du monde. Mais ce n’était pas tout. Son immaturité dans le Loiret aurait pu le perdre, les méandres du système américain, puis la crise libanaise, mais il est là, et bien là, réellement en train de jouer une Coupe du Monde.

« Le basket m’a donné une identité, une raison d’être »

C’est trop peu commun pour ne pas le souligner : depuis l’Indonésie, Karim Ezzeddine aura mardi une pensée pour un… homme politique, Jean-Pierre Blazy, maire socialiste de Gonesse depuis 1995. « Dans les cités, il y a ceux qui se perdent et ceux qui se décident d’avoir un avenir », clame-t-il, en écho à ses jeunes années passées à La Fauconnière, quartier sensible de Gonesse, où revient directement le souvenir des émeutes de 2007 à Villiers-le-Bel, la commune attenante, consécutive à la mort de deux adolescents percutés en moto-cross par une voiture de la Police nationale. Avec ses amis, lui s’est surtout battu pour autre chose : la construction de terrains de sport, soit autant d’infrastructures susceptibles d’offrir un échappatoire à la jeunesse locale. « Avec les grands de notre quartier, on écrivait des lettres au maire afin d’ouvrir des playgrounds. Et ça a marché ! Monsieur Blazy passait régulièrement dans la cité. Ça a vraiment changé la donne qu’il ait été autant à notre écoute, qu’il nous ait donné cette chance de rêver. C’est fou de voir comment l’action d’un seul homme peut avoir autant d’impact sur une vie. »

Comme son équipe, Ezzeddine ne brille pas pour l’instant à Jakarta : 1,5 point à 10% et 2 rebonds de moyenne (photo : FIBA)

Car sans le basket, Karim Ezzeddine ne se serait peut-être pas perdu mais… « Ah si si, on peut vraiment dire que le basket m’a sauvé », interrompt-il. « Ça a été une bénédiction. J’aurais facilement pu passer à travers. » Autrement dit, terminer comme certains de ses copains d’enfance, happés par les réseaux souterrains de la drogue. Repéré par Nanterre après avoir posé ses premiers dribbles à 11 ans, l’international libanais devait vivre une odyssée quotidienne afin d’aller fréquenter le centre de formation de la JSF : près de 3h de transport tous les jours aller-retour, le RER D jusqu’à Châtelet-les-Halles, puis le A jusqu’à Nanterre-Université, et inversement. « Le basket m’a enlevé de ma cité, m’a tiré d’un certain rythme, m’a fait découvrir d’autres horizons. C’était la galère de faire les trajets mais au lieu de traîner, je rentrais à 23h – minuit et je voyais mes potes qui restaient dehors, ne foutaient rien, vendaient de la drogue. Le basket m’a donné une identité, une raison d’être : avant, j’étais Karim le grand de la cité ; je suis devenu Karim le basketteur. »

Sauf que Karim le basketteur a bien failli gaspiller son talent. Parti à Orléans afin de rejoindre un centre de formation plus huppé, Ezzeddine a manqué de s’égarer dans les affres de la nuit orléanaise, à seulement 15 ans. « Demandez lui s’il se souvient des escaliers du Palais des Sports », nous lance son ex-formateur Stéphane Paty. Pendant quinze jours, le Francilien ne s’est pas entraîné, se contentant de montées – descentes incessantes. La raison ? Une indiscipline chronique, alors qu’il sortait du lot sur le terrain, capable de s’entraîner avec les Espoirs alors qu’il n’était que cadet première année. « Des ailiers de plus de 2,00 m comme lui, avec du shoot, il n’y en avait pas 50 000. Il était hyper agressif, débordant d’énergie, un vrai chien de la casse. Le problème, c’est qu’il était incapable de respecter une règle collective. Et pourtant, on a tapé fort mais il a tapé encore plus fort. » Rapidement ami avec les jeunes pros de l’OLB, il les suit de partout, en ville, en boîte de nuit, dans tous les bars d’Orléans. « Je passais mes jeudi – vendredi – samedi à faire la fête, à boire », se souvient-il. « Je menais une vie très malsaine, sans être conscient que j’étais en train de gâcher mon potentiel. J’étais en train de prendre la grosse tête, dans une mauvaise mentalité, sans mentor pour me dire quoi faire. J’étais bon, mais sans être ce que je devais être. » Jusqu’à la sortie de trop. « Il avait déjà été fortement sanctionné et deux jours après, il ressort sans autorisation », raconte Stéphane Paty, prévenu ce soir-là que l’un de ses joueurs traînait dans un endroit où il n’était pas censé être. « C’était un mineur, il était sous notre responsabilité, on ne pouvait plus se le permettre. » Ce sera donc la porte. « Il a été obligé de prendre un chemin tortueux alors qu’il était regardé par les équipes de France jeunes à l’époque. »

« Jouer contre l’équipe de France,
un moment clef de ma vie »

Le maillot tricolore, Karim Ezzeddine ne l’a pratiquement pas porté à vrai dire. Un été en 2014, avec la génération Noua – Gombauld, et c’est tout, sans même participer à la Coupe du Monde U17 d’ailleurs. « Ça m’avait brisé le cœur de ne pas être pris », se souvient-il. « Je trouvais que j’avais ma place et c’est quelque chose qui est resté dans ma tête. » À l’époque, il rêvait de NBA, d’EuroLeague et… d’équipe de France. Neuf ans plus tard, c’est en adversaire des Bleus, et de ses potes Sylvain Francisco et Guerschon Yabusele, qu’il retrouvera la tunique nationale. « Jouer contre l’équipe de France avec la nation de mon père, c’est vraiment le moment qui marque ma carrière, même un moment clef de ma vie. J’ai quand même un peu l’impression d’être une girouette (il sourit). Je chanterai les deux hymnes nationaux. Quand je rentre chez moi, je rentre en France. Quand il y a une Coupe du Monde de foot, je soutiens les Bleus, c’est dans mon cœur. La France m’a accepté, m’a donné beaucoup de choses, m’a nourri, m’a développé. Mais d’un côté, je joue aussi contre la nation qui ne m’a pas donné ma chance. »

En 2020, Karim Ezzeddine a disputé quatre matchs de Pro B avec Paris (photo : Lilian Bordron)

Une fois mis à la porte par Orléans, Karim Ezzeddine n’a effectivement plus jamais rejoué en France, si ce n’est une pige oubliable de quatre matchs en Pro B avec Paris en 2020. Parti se former dans le système américain, où il a « pris une gifle qui [l’a] discipliné », le Gonessien s’est ensuite accompli comme basketteur au sein du pays de son père. Non sans y être allé à reculons. « Je voulais aller en NBA ou en EuroLeague, qu’est-ce que je vais faire au Liban », se marre-t-il, en retraçant ses premières pensées de l’époque. Mais malgré les sérieuses turbulences (révolution, coronavirus, explosion du port de Beyrouth), le Liban présentait l’avantage dès le début de proposer des salaires mensuels à cinq chiffres. Une signature presque à contre-cœur pour finalement se retrouver quatre ans plus tard à fièrement porter le Cèdre sur la scène mondiale. « Je ne connaissais pas grand chose du Liban en arrivant mais j’ai appris, j’ai compris, je me suis adapté. Aujourd’hui, malgré les crises, je suis vraiment en équipe du Liban par choix. Choisir le Liban, c’est un peu un sens de raison d’être aussi. »

Le basket libanais,
un souffle d’espoir dans un pays en ruines

Une décision facilitée par l’extraordinaire engouement qui règne autour du basket là-bas, « le sport national, une religion ». Anonyme à Paris, au Koweït ou en Arabie Saoudite, où il a également évolué, l’actuel intérieur du Dynamo Beyrouth est devenu une figure sportive identifiée au Liban, qui s’enorgueillit de retrouver la Coupe du Monde, treize ans après sa dernière participation. « C’est magnifique ce qu’on a fait en se qualifiant, ça a donné des sourires à tout le monde. Il y a un énorme engouement et une unification de la nation derrière nous, c’est quelque chose qui nous porte. » Un élan populaire incarné par la Coupe d’Asie, où la sélection entraînée par Jad El Hajj est passée tout près du titre continental (défaite 73-75 en finale contre l’Australie).

Des centaines de Libanais, issus de la diaspora majoritairement, sont venus à Jakarta (photo : FIBA)

Une rare note d’optimisme au sein d’une nation traumatisée par la terrible explosion du port de Beyrouth en août 2020 et gangrénée par une extraordinaire crise économico-politico-sociale depuis 2019… Alors que l’inflation annuelle frôle les 200%, l’agonie du pays du Cèdre – qui n’a plus de président depuis le 31 octobre 2022 – a déjà plongé plus de 80% de la population dans la pauvreté. Et comme les playgrounds de Gonesse à l’époque, le parcours de la sélection nationale à Jakarta représente une vraie possibilité d’évasion pour la population. « Il n’y a rien qui se passe au Liban, tout va de travers et notre qualification pour la Coupe du Monde est la seule bonne chose qui soit arrivée récemment au pays », confirme Karim Ezzeddine. « Avec les Mayyas, un groupe de danse qui a gagné America Got Talent l’année dernière (il sourit). Nous sommes le plus gros espoir de tout le pays, c’est quelque chose que l’on porte sur nos épaules avec grande fierté. Mais on vient sans pression… La pression, c’est quand les Libanais n’ont pas accès à leur argent dans leur banque, c’est la pauvreté, c’est le désespoir que l’on voit sur le visage des gens… » Autant dire qu’un nouvel exploit contre une France en déliquescence, 17 ans après l’incroyable surprise de Sendai (victoire 74-73 lors du premier tour de la Coupe du Monde, ndlr), représenterait quelque chose d’absolument extraordinaire pour le Liban, qui démarrera son vrai tournoi lors des matchs de classement jeudi afin de tenter d’arracher un billet pour les JO de Paris. « Le succès de 2006, ça a marqué les gens, ça a marqué une génération. C’était le prime du basket libanais. Maintenant, on veut faire la même chose, on veut rendre fier le Liban. » Et la Fauconnière avec, dans son cas.

À Jakarta,

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