La finale vue depuis Kazan : « Le favori ? C’est évidemment Monaco ! »
« Je ne sais même pas combien de kilomètres nous avons fait en avion au cours de la semaine dernière », se marrait Jordan Theodore lundi soir, au moment de prendre possession de la salle Gaston-Médecin, théâtre du Match 1 de la finale de l’EuroCup entre l’AS Monaco et l’UNICS Kazan. Depuis son exploit en terre bolonaise lors des demi-finales, l’équipe du Tatarstan a été assez peu épargnée par les instances de la VTB League, disputant quatre rencontres en neuf jours, dont deux déplacements interminables à Noursoultan (Kazakhstan) et à Krasnoïarsk, au cœur de la Sibérie orientale, pas si loin de la Mongolie.
Le voyage jusqu’à la Principauté a encore été mouvementé : l’avion de l’UNICS Kazan s’est posé à l’aéroport de Nice avec près de deux heures de retard sur l’horaire prévu, vers 16h30, à cause d’une escale ravitaillement à Kaliningrad, une enclave russe au bord de la mer Baltique. « Ce n’était pas si mal », relativise l’ancien meneur de la JL Bourg. « Le club a fait beaucoup d’efforts pour prendre soin de nous malgré les voyages. »
Parmi la délégation de l’UNICS Kazan figure une personnalité bien connue du basket européen : Claudio Coldebella (52 ans), ex-international italien, vice-champion d’Europe en 1997 avec la Squadra Azzurra, détenteur d’un joli palmarès grâce à ses années à la Virtus Bologne (vainqueur de la Coupe Saporta en 1990 et triple champion d’Italie). Depuis l’été 2018, l’ancien meneur de l’Olimpia Milan est en charge de la politique sportive, après avoir occupé le poste de manager général à Varese. Tout heureux de découvrir des pans d’histoires de la salle monégasque, comme le record du monde de 100 m du nageur russe Aleksandr Popov (en 1994), Claudio Coldebella (tout à gauche sur la photo de une) nous a accordés un entretien à la veille du début de la grande explication entre la Roca Team et Kazan.
Claudio Coldebella, le directeur sportif de l’UNICS Kazan
(photo : Sébastien Grasset)
Claudio, certaines voix se sont déjà élevées en France pour protester contre l’enchaînement des matchs de Monaco en Jeep ÉLITE malgré les grands rendez-vous européens. Or, c’est pire pour vous. Vous avez dû jouer dimanche après-midi contre le Lokomotiv Kuban…
Oui, nous avons un programme démentiel actuellement… Les matchs s’enchaînent, c’est assez compliqué. Mais c’est un exercice difficile que de comparer les championnats entre eux. Cela dit, il faut vraiment être en Russie pour comprendre à quel point les voyages sont compliqués en VTB League. La semaine dernière, nous sommes d’abord allés au Kazakhstan puis nous avons disputé un match à domicile contre Perm puis nous avons dû aller jusqu’en Sibérie (il rit). Regardez donc où se situe Krasnoyarsk (spoiler : à 3 000 kilomètres à l’est de Kazan, ndlr)… On m’avait prévenu avant que je prenne mon poste à l’UNICS. Je pensais que j’étais habitué, j’ai fait des déplacements toute ma vie. Mais quand vous y êtes, vous comprenez que ce n’est pas comme des trajets entre Milan et Bologne…
La dernière fois que vous étiez en France, en novembre dernier à Bourg-en-Bresse, la situation n’était pas si rose pour l’UNICS Kazan…
(il coupe) Oui, nous sortions de deux défaites en VTB League, contre le Zielona Gora, puis en EuroCup, contre le Partizan.
« Retourner en EuroLeague était notre objectif »
Et maintenant, vous êtes en finale de l’EuroCup. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
C’est très simple. Cette période de pandémie est totalement inédite pour tout le monde. Personne n’aurait pu penser que nous allions disputer une saison entière sans public dans la grande majorité de l’Europe. Nous avons démarré la saison sans une vraie préparation puisque nous avons malheureusement été frappé par beaucoup de cas positifs. Nous avons bricolé pendant deux mois, en août et septembre, et nous étions toujours largement diminués pour notre premier match de la saison, le 30 septembre, à Venise. Or, le calendrier était très serré, il fallait jouer, sous peine de perdre 20-0 sur tapis vert à l’époque. Alors nous avons souffert. Ça prend du temps de se remettre du coronavirus. Nous avons commencé à bien jouer en décembre quand nous avons pu enchaîner les semaines d’entraînement. Depuis, nous avons trouvé notre identité, nous n’avons pas perdu un seul match entre janvier et février (14 succès de rang, ndlr) et c’est ce qui nous a amenés ici.
L’UNICS Kazan est une place forte d’EuroCup mais son palmarès reste assez maigre, la faute à ses grands voisins en Russie. Comment vivre à côté du CSKA Moscou et compagnie ?
Ce n’est pas facile en effet… La VTB League est un championnat incroyablement compliqué, et je ne parle pas que des budgets. Je prends aussi en compte la qualité des joueurs et la difficulté des voyages à travers plusieurs pays. Il y a plusieurs équipes de top niveau : le CSKA Moscou reste champion d’Europe, le Khimki, le Zénith Saint-Pétersbourg, le Lokomotiv Kuban… Du côté de l’UNICS, il y a une vraie stabilité depuis plusieurs saisons. Je crois que c’est le club qui a disputé le plus de matchs en EuroCup, l’UNICS connait donc parfaitement cette compétition. Alors oui, ce n’est pas facile de vivre à côté de si grands clubs mais ça vous pousse à vous améliorer.
2011, l’heure de gloire pour l’UNICS qui remporte l’EuroCup, avec notamment Maciej Lampe dans ses rang
(photo : EuroCup)
Kazan n’a pas une grande histoire en EuroLeague, avec seulement trois apparitions au compteur. À quel point était-ce important d’y retourner ?
Le club y a quand même connu une bonne saison (un Top 16 en 2011/12, ndlr). Retourner en EuroLeague était notre objectif. Maintenant, il va falloir que l’on progresse. J’aime beaucoup l’EuroLeague car ils ne cessent de s’améliorer et poussent tous les clubs à se développer, tant sportivement que structurellement.
Remporter la demi-finale contre la Virtus Bologne était un moment incroyable j’imagine ? À 0-1, contre une équipe invaincue, on ne donnait pas cher de votre peau… Sauf vous sûrement ?
La Virtus, l’équipe qui avait remporté 19 matchs d’affilée. Mon ancienne équipe aussi (il sourit). Pour moi, c’était très dur, j’avais perdu une finale d’EuroLeague en 1998 contre eux (avec l’AEK Athènes, ndlr). C’était émouvant à titre personnel mais il y avait une vraie croyance dans le club que nous pouvions l’emporter. La série était extrêmement dure, surtout que nous avons joué sans notre meneur Nate Wolters, hormis 5 minutes lors du Match 2, et que nous avons perdu Jordan Morgan lors de la belle. Mais l’équipe n’a jamais cessé de se battre.
« Nous ne sommes pas dans notre meilleure période de la saison,
nous étions mieux au début de l’année »
Quel est votre regard sur votre adversaire en finale, l’AS Monaco ?
Je n’en pense que du bien. Je me souviens encore de la grosse défaite de l’année dernière ici (60-85)… Ils se débrouillent très bien dans le championnat de France, malgré les nombreux changements de l’intersaison. Peut-être que la pause forcée de la Jeep ÉLITE à l’automne leur a servi pour apprendre à mieux se connaître. C’est un club qui travaille très bien depuis plusieurs saisons : je me rappelle de leur première année en BCL où ils ont atteint le Final Four, ils auraient pu faire quelque chose en EuroCup l’an dernier aussi. Nous sommes similaires sur de nombreux aspects : deux équipes athlétiques, physiques, le désir de gagner, les caractères de compétiteurs… À ce titre, je suis très triste de l’absence de notre pivot Jordan Morgan, surtout face à un joueur aussi impactant que Mathias Lessort. C’est un vrai problème pour nous.
Zvezdan Mitrovic dit que vous êtes l’UNICS est le favori de la finale. Êtes-vous du même avis ?
Bien sûr que non. Monaco a démontré sa force de frappe en demi-finale contre Gran Canaria, là-même où nous avons perdu début mars. Nous ne sommes pas dans notre meilleure période de la saison : nous étions mieux au début de l’année, nous sortons d’un emploi du temps infernal entre les playoffs de l’EuroCup et la VTB League… Alors est-ce que nous sommes dans notre meilleur forme de l’année ? Non. Mais nous ferons de notre mieux.
L’équipe russe a pris possession de la salle Gaston-Médecin sur les coups de 19h lundi soir
(photo : EuroCup)
Y-a-t-il des joueurs que vous craignez particulièrement côté Roca Team ?
J’aime beaucoup leur capitaine Dee Bost. Il leur apporte beaucoup, notamment en terme de leadership.
Il disait plus tôt dans la journée qu’il avait failli signer à Kazan il y a deux ans…
Non. Non, ça ce n’est pas vrai. Mais c’est un joueur que l’on suit. Je l’aime beaucoup et j’apprécie le fait qu’il incarne ce club. Il se sent à la maison, il sent que c’est son équipe, ça ressemble beaucoup à la situation de Jamar Smith chez nous. Après, il y a beaucoup d’autres joueurs performants : Mathias Lessort est très bon, nous connaissons bien J.J. O’Brien depuis son passage à Astana, je suis Marcos Knight depuis son passage en deuxième division allemande…
Jamar Smith a été élu MVP de l’EuroCup la semaine dernière, évidemment un trophée mérité à vos yeux ?
Tout à fait. Il est notre leader, sur et en dehors du terrain. Il veut impliquer tout le monde. Jamar est un joueur particulier, nous sommes très chanceux de l’avoir. Il nous a sortis des performances merveilleuses à des moments cruciaux…
« Nos joueurs russes sont très importants pour nous »
Dans votre effectif, un nom attire aussi l’œil : celui d’Isaiah Canaan. 238 matchs en NBA mais aucune expérience en Europe. C’était un pari et il semble totalement réussi…
En Europe, on veut parfois aller vers les choix simples, peu risqués. Ça demande moins de travail de prendre un joueur confirmé plutôt qu’un rookie. Pour comparer cela à l’université, c’est comme s’il devait obtenir un Master 2 en seulement quelques mois. Il découvre un basket totalement différent cette année. Mais nous avons eu de la chance : Isaiah est non seulement un excellent joueur, mais aussi une très belle personne. Il est enclin à apprendre, il écoute beaucoup ce qu’on lui dit.
Votre équipe est extrêmement américanisée, avec huit Américains qui se répartissent près de 82% du temps de jeu global. On remarque aussi que dans vos joueurs étrangers, il n’y a aucun Européen, si ce n’est l’historique grec Kostas Kaimakoglou qui a disputé sept minutes au total depuis le début de la saison. Est-ce un choix délibéré de notre part ?
C’est une remarque que j’ai aussi entendu à Bologne… Nous avons notre philosophie concernant les joueurs russes : ils sont très importants pour nous et font pleinement partie de l’équipe, parfois depuis six – sept ans. Quant aux Américains, c’est vrai. C’est une histoire de règles, qui ne sont pas les mêmes en EuroCup qu’en France par exemple. Nous avons le droit de prendre plus de joueurs Américains. Après, tous les joueurs étrangers sont les mêmes pour nous, nous ne choisissons pas en fonction de la nationalité. Et heureusement car je pourrais vous dire que Jordan Theodore a un passeport de Macédoine du Nord. Pourtant, il ne vient pas de Skopje (il sourit)
Smith – Canaan – Brown, trois pions essentiels de l’armada américaine de Kazan
(photo : Jacques Cormarèche)
L’an dernier, vous vous êtes inclinés deux fois contre l’AS Monaco lors du Top 16, dont une véritable correction à Gaston-Médecin. Les équipes ne sont plus les mêmes mais est-ce que ça alerte tout de même ?
Non non, il reste beaucoup de similarités par rapport à l’an dernier. C’est pour ça aussi que je dis aussi que nous ne sommes évidemment pas les favoris de cette finale. Je m’en souviens parfaitement : c’était le 4 mars 2020 et en arrivant à l’aéroport de Moscou, pour ensuite prendre un vol vers Nijni Novgorod, j’ai été bloqué. C’était difficile d’être Italien en mars 2020, nous étions l’appestati (en version originale, littéralement des pestiférés en français, ndlr)). Ils nous avaient tués, c’était une défaite cuisante pour nous. Notre manque d’énergie était flagrant ce soir-là. J’espère que cela ne sera pas comme ça demain.
Ce Match 1 aurait dû se jouer chez vous plutôt qu’à Monaco. Est-ce que cela change quelque chose ?
Oui, ça change (il le répète). Mais nous appartenons à une organisation commune et je crois qu’il faut que nous aidions mutuellement entre clubs. Cette décision était rendue inévitable par les lois françaises. Nous l’acceptons mais bien sûr que ça change de partir jouer le Match 2 à l’extérieur en menant 1-0, ou de revenir à Kazan à 0-1. Il y a beaucoup de changements de système en EuroCup en ce moment : je ne suis pas un grand fan du format actuel et je suis heureux de la refonte prévue de la compétition, qui me semble très positive. J’ai toujours été négatif avec le système actuel, c’est quand même ironique de retrouver l’EuroLeague grâce à celui-ci.
« Jouer ce Match 1 à Monaco plutôt qu’à Kazan, ça change quelque chose »
Vous aurez quand même un vrai avantage, celui de jouer devant vos fans à Kazan (avec une jauge de 70%)…
Bon, on ne va pas dire que les supporters russes sont les plus engagés mais c’est bien oui. Après, tout le monde dit qu’il n’y a des supporters qu’en Russie en ce moment. C’est faux : il y avait 500 spectateurs à Bologne, dont 50 ultras. Ce n’est pas équivalent à nos 4 000 spectateurs bien sûr. C’est dommage car nous aimerions jouer devant des salles remplies partout, même à l’extérieur, ça motive les joueurs quand même. J’espérais jouer ce premier match à Monaco devant du pubic, j’ai cru comprendre que la possibilité avait été étudiée par le gouvernement monégasque. Ça aurait été très bien pour l’EuroCup.
Cette saison européenne est-elle déjà réussie, avec la qualification pour l’EuroLeague, mais avez-vous impérativement besoin de remporter l’EuroCup pour atteindre vos objectifs ?
C’est déjà une belle réussite, aussi même pour la façon dont on joue, mais il faut gagner pour qu’elle soit totale. C’est génial d’être en EuroLeague mais pour que la campagne européenne soit un succès sur toute la ligne, il faut gagner le trophée.
À Monaco,
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