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Abdoulaye M’Baye, un destin au millimètre

En bon étudiant qu’il est redevenu, Abdoulaye M’Baye avait révisé. « En sachant qu’on allait se voir, j’essayais de me souvenir de quelques évènements hier », lançait-il tout sourire, en prenant place début décembre dans un café de la banlieue nantaise, là où il s’est installé l’été dernier pour se consacrer à ses études. C’est qu’il savait qu’il y avait des choses à raconter, tant sa carrière fut particulièrement marquante.

En 2008/09, son nom était associé à celui de Nando De Colo. À 20 et 21 ans, ils étaient les seuls jeunes français cadres de leur équipe de Pro A, respectivement Dijon et Cholet, formant une doublette sur le poste 2 au All-Star Game 2008, le Loirétain se permettant même le luxe de devancer le MVP Français au classement du meilleur marqueur tricolore en fin de saison (14,9 points de moyenne, contre 14,7 pour la superstar du Fenerbahçe).

Top scoreur français du championnat à 20 ans, de quoi légitimement susciter de grands espoirs pour la suite… À l’époque, Abdou M’Baye était vu comme un attaquant racé, pièce majeure de la razzia de la génération 88/89 (double championne d’Europe et médaillée de bronze lors du Mondial U19), attendu dans le même rôle à l’avenir avec les grands. « Le talent est là, c’est indéniable », disait son coach dijonnais Randoald Dessarzin à L’Équipe en 2008. « Abdou progresse de manière exponentielle. Mais il y a aussi de grosses attentes le concernant. […] Il est souvent déjà en contre-attaque quand il faut aller chercher le rebond. Je ne vois pas non plus une réelle volonté d’aller chercher son joueur. En défense aussi, il peut beaucoup progresser. Avec un physique comme ça, il n’y a pas d’excuse. Il a du coffre, de l’explosivité. »

Quatorze ans plus tard, force est de constater que l’ancien phénomène de la JDA n’a pas atteint les sommets espérés. Un peu de son fait, lui qui a notamment déçu à Strasbourg alors qu’il avait été placé au centre du jeu par Vincent Collet, et beaucoup par la force des choses, ayant subi une accumulation de blessures. Les fameuses qualités athlétiques évoquées par Dessarzin se sont évanouies au fil des années, déchiquetées par les quatre opérations chirurgicales subies entre 24 et 27 ans, là où il était censé rentrer dans les plus belles saisons de sa carrière. À un millimètre, il aurait même du mettre un terme à sa carrière nous-a-t-il avoué. Au lieu d’un prime à la hauteur de ses capacités, Abdou M’Baye a surtout dû se battre pour rester un joueur professionnel et se réinventer en tant que basketteur, certes dans un rôle beaucoup plus discret mais avec un acharnement récompensé par une saison 2017/18 chargée en symboles à Fos-sur-Mer. Désormais, l’arrière de Rezé poursuit ses efforts pour réussir sa reconversion en tant que kinésithérapeute. Un métier associé au corps humain, à la rééducation, forcément… Comment pouvait-il en être autrement après une telle carrière ?

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De Saint-Jean-de-Braye à Rezé, le grand livre du parcours d’Abdoulaye M’Baye
(photo : Sébastien Grasset)

Du Loiret à l’INSEP,
dans les traces paternelles

« Je suis né à Berck mais je n’ai aucune attache là-bas. J’ai vécu dans différentes villes, au gré de la carrière de mon père (Madické M’Baye, ancien scoreur de Voiron notamment, ndlr). J’ai quelques flashs de lui en tant que joueur, notamment quand il était à Strasbourg ou à Tours. Mes premiers vrais souvenirs basket, c’est quand on s’est installé à Orléans. C’est lui qui m’a donné envie de devenir pro. Comme tout enfant, je voulais faire comme mon papa. Je le suivais, j’allais aux matchs avec mon ballon, je courais sur le terrain à la mi-temps pour aller shooter. Ça s’est fait naturellement.

J’ai commencé le basket à Saint-Jean-de-Braye puis je suis parti à Checy jusqu’en minimes, avant d’aller à Orléans. J’étais au Pôle avec Marc-Antoine Pellin, Aaron Cel, c’était une bonne génération. Nous avons fait un beau parcours en minimes France et en sélection régionale sous la houlette de Frédéric Crapez. La jeunesse dans le Loiret, ça reste de bons souvenirs ! Après trois ans au Pôle de Tours, je suis rentré au Centre Fédéral en 2003. C’est la découverte d’un nouveau monde, l’INSEP avec sa renommée. Quand tu arrives là-bas, tu vois tous les gars qui y sont passés… C’est un honneur et un privilège, mais aussi le début du haut-niveau. L’INSEP, c’est la belle époque ! J’ai rencontré des amis qui le sont encore aujourd’hui comme Ludo Vaty ou Alexis Ajinça, qui sont rentrés en même temps que moi, avec aussi Paul Régnier et Étienne Lazzarotto. »

abdou-m-baye1641502615.jpegAbdou M’Baye et Marco Pellin, formés ensemble à Orléans
(photo : Olivier Fusy)

La génération 88/89,
dans les livres d’histoire

« C’est la deuxième génération dorée ! La réussite qu’on a connu est hallucinante : ce n’est pas facile d’être double champion d’Europe, cadets et juniors. Aussi, la densité de la génération est exceptionnelle… Il n’y a qu’à regarder où sont tous les mecs maintenant, tout le monde a fait carrière. Le pire, c’est qu’il y avait aussi des gars comme Kevin Séraphin, Thomas Heurtel ou Rodrigue Beaubois qui n’avaient pas encore éclos. On n’est pas passé si loin d’être champions du monde en 2007 également… En demi-finale, on reste 37 minutes devant les États-Unis avec certains bons joueurs : Steph Curry, Patrick Beverley, Michael Beasley, David Lighty… DeAndre Jordan, aussi, qui était au bout du banc, je ne crois même pas qu’il ait joué contre nous (3 minutes, ndlr). D’ailleurs, leur joueur dominant, c’était Jonny Flynn, je ne sais pas ce qu’il est devenu (flop en NBA et fin de carrière en 2014, ndlr)… En voyant Curry à l’époque, on n’aurait jamais dit qu’il pourrait connaitre cette carrière. Après, je ne dis pas qu’on aurait battu la Serbie en finale. Ils étaient vraiment solides, chez eux en plus, à Novi Sad.  Mais on ne passe pas loin et c’est vraiment un gros regret.

On ne se rendait pas forcément compte de la portée de ce qu’on accomplissait. Il n’y avait pas les réseaux sociaux, pas la même médiatisation qu’ont pu connaître les U19 cet été par exemple. L’année dernière, j’ai revu le reportage Novi Génération. Tu vois l’insouciance et l’innocence : on était une bande de potes qui allait jouer au basket pour s’amuser et gagner. On était sérieux sur le terrain mais les vannes fusaient dans tous les sens en dehors. Au-delà des résultats et des médailles, l’ambiance était incroyable tout au long de ces années. Aujourd’hui, on reste connectés, on est toujours liés. On ne se parle pas tous les jours mais on est ensemble. Dès qu’on se recroise, on se parle comme si ça fait 10 jours qu’on s’était quittés.

L’équipe était super complémentaire, avec Nico (Batum) au-dessus du lot au niveau talent. À la mène, le trio Antoine (Diot) – Olivier (Romain) – Benoit (Mangin) se complétait bien. À l’aile, Nico avait le plus de qualités athlétiques et d’envergure, Jessie (Begarin) était un super défenseur tandis qu’Edwin (Jackson) et moi étions plus scoreurs. À l’intérieur, tu pouvais difficilement trouver des profils plus complémentaires que Kim (Tillie), Adrien (Moerman), Alexis (Ajinça) et Ludo (Vaty). Tout cet ensemble a été très bien géré par Richard Billant qui a su trouver le bon fonctionnement. On a su tous tirer dans le même sens pour accomplir des choses géniales.

Individuellement, il y a un match marquant, c’est le tout dernier en 2008 (45 points à 14/21 contre l’Ukraine de Sergii Gladyr, ndlr). Ce n’était que le match de la 7e place mais c’était la clôture des aventures en jeune. On se dit que c’est la fin donc autant prendre du plaisir, même si on a fait n’importe sur la compétition. Personnellement, c’était clairement un match ahurissant. 45 points dans un match FIBA, 11 paniers à trois points, ce n’est pas anodin, c’est quelque chose que tu apprécies avec le recul. »

abdou-m-baye1641473746.jpegLa photo iconique de la génération dorée 88/89, au début de l’été 2007, signée Olivier Fusy

JDA Dijon (2006/10),
les montagnes russes

« C’était clairement la meilleure opportunité pour jouer directement en pro. Sans aucune prétention, après deux saisons à 15 points de moyenne en Nationale 1, le but n’était pas d’évoluer en Espoirs. Je voulais trouver le meilleur endroit pour m’épanouir et grandir en tant que joueur. Or, le coach Jacques Monclar me suivait depuis quelques années, depuis que j’avais affronté son fils Benjamin en finale nationale benjamins en 2001 en l’occurrence. Ce qui a aussi pesé dans la balance, c’est la perspective de jouer l’EuroCup, une compétition où le nombre d’étrangers était très limité à l’époque. Avec Olivier Romain, Jonathan Aka, Olivier Kolb ou Ibrahima Koma, nous étions beaucoup de jeunes et on savait qu’on allait avoir du temps pour nous exprimer en Europe. Or, un jeune a besoin de jouer !

Laurent Sciarra m’avait donné un petit surnom : « Le Marcassin du Loiret ». Je fonçais partout en fait, je n’avais pas la connaissance basket que j’ai pu accumuler au fil des années ensuite. Laurent est quelqu’un qui m’a beaucoup aidé, qui s’est vraiment occupé de moi. Par exemple, je n’avais pas le permis à l’époque : tous les jours, il venait me chercher chez moi pour aller à l’entraînement et il me ramenait après. Quand tu le côtoies matin et soir pendant deux ans, tu as le temps de l’écouter raconter ses histoires, d’emmagasiner. Pour un jeune joueur, il n’y a pas mieux pour acquérir de l’expérience.

abdou-m-baye1641502634.jpegLors de sa saison rookie en 2006/07, M’Baye termine à 4,8 points de moyenne en Pro A et 12,4 en EuroCup
(photo : Olivier Fusy)

Meilleur marqueur français à 20 ans

2008/09 est une saison particulière. Bon, déjà, on prend 50 points lors du premier match à Gravelines (65-116) donc on se dit que ça va être compliqué (il sourit). Personnellement, je tire mon épingle du jeu (il termine meilleur marqueur français avec 14,9 points de moyenne, ndlr). Je n’avais pas idée de tout ça, je n’étais pas sur le site de la LNB à aller voir le classement toutes les semaines. J’ai commencé à saisir l’ampleur des choses lors de ma sélection pour le All-Star Game mais ce n’était absolument pas un objectif en soi. Après, avec du recul,  c’est l’une des premières choses que les gens me disent : « Ah, t’as été meilleur marqueur français à 20 ans devant Nando De Colo ! » Je pense être le plus jeune meilleur marqueur français de l’histoire. À partir du moment où tu sors une saison comme ça, les attentes à ton égard grandissent d’un coup. Je n’étais pas le plus hypé de la génération et ça m’a fait changer de catégorie…

Jonathan Bourhis, le drame

L’été qui suit, en 2009, j’estimais avoir besoin de confirmer, d’où le choix de rester à Dijon. La saison démarre parfaitement, avec un 4-0, au sein d’une équipe très portée sur l’attaque : Ramel Bradley – Errick Craven – Sean Marshall… Tout se passe bien jusqu’au 1er novembre 2009, jour du décès de Jonathan… La veille, on disputait un match télévisé à Toulon où Jonathan joue (13 minutes, son deuxième plus gros total en pro, ndlr), et bien en plus. Ce qu’il faut savoir, c’est que Benjamin (Monclar), Jonathan et moi, on était extrêmement proches. Ils vivaient au centre de formation alors que j’avais un appartement en ville : ils venaient chez moi regarder tous les matchs. On parlait, on rêvait, on faisait des plans sur la comète. Comme des jeunes quoi ! On regardait Juanca Navarro, on se disait « vas-y on fait pareil », on s’amusait à l’imiter à l’entraînement, lui et les autres. Quand je dis qu’on était tout le temps ensemble, on était tout le temps ensemble ! Et là, tu rentres de déplacement, tu vas te coucher et tu te réveilles le lendemain en apprenant que l’un de tes meilleurs potes, avec qui tu rigolais encore la veille dans le bus, est décédé dans un accident de voiture.

Jusqu’à aujourd’hui, rien que le fait d’en parler là, ça ne me semble pas réel… Les gens ne se rendent pas compte de l’impact que ça peut avoir. J’avais 21 ans, il était si proche de moi, il y a quelque chose qui a changé ce jour-là. Encaisser une nouvelle comme ça, le vivre, c’est vraiment un truc de fou. Le plus dur, c’est de s’en remettre et d’essayer d’avancer : toute l’année, tu vas dans le vestiaire, tu vois sa place et tu sais qu’il ne reviendra jamais. Son décès est une cicatrice qui est encore là et qui le sera pour toujours. Je ne m’en suis jamais servi d’excuse mais c’est clairement une fracture (dans son parcours). Ce qui s’est passé, c’est quelque chose d’extrêmement violent, il faut le dire. Ce sont des choses dont on met énormément de temps à se remettre, surtout quand on est jeune. Mais le fait de voir Lucas jouer et être à un très bon niveau, ça me fait vraiment plaisir. Je sais qu’il y a un peu de Jonathan en lui.

abdou-m-baye1641502827.jpegAbdou M’Baye avec Lucas Bourhis en 2019, dix ans après le décès de Jonathan
(photo : David Robbe)

La saison partait sur des bases idylliques et s’est ensuite transformée en cauchemar : on perd 15 matchs de suite ensuite en championnat, on s’incline même à Souffelweyersheim (NM2) en Coupe de France, il y a beaucoup d’arrivées et de départs. Ce n’est pas qu’à cause de ça mais il y a clairement quelque chose qui s’est cassé physiquement et mentalement. Au final, c’est la saison cauchemardesque comme on ne peut pas mieux faire. On descend donc je décide de partir de Dijon pour l’avancée de ma carrière. Je voulais continuer à jouer en Pro A. »

SIG Strasbourg (2010/12),
un trop grand costume ?

« La première saison fut très particulière mais bizarrement, c’est l’une de mes années les plus enrichissantes au niveau de la connaissance du métier de basketteur. J’étais entouré que par des vieux de la vieille : Steeve Essart, Aymeric Jeanneau, Sacha Giffa, Alain Digbeu, Ricardo Greer, John McCord… Avec Justin Hawkins, je devais être le seul en-dessous de 32 ans dans le groupe. Ce fut compliqué au niveau de la cohésion d’équipe, l’entente n’était pas optimale. Personnellement, j’étais en concurrence avec Digbeu, c’était la première fois de ma carrière que cela arrivait. J’ai beaucoup grandi à ses côtés mais ce ne fut pas toujours facile à gérer. J’ai reçu énormément de conseils sur la gestion de la vie de basketteur, que ce soit de la part d’Aymeric, Steeve ou Sacha. Je voyais un mec comme Aymeric qui venait 45 minutes en avance, repartait 45 minutes après : à 20-21 ans, tu ne comprends pas, tu te dis « Mais qu’est-ce qu’il veut lui ?! » Au final, plus tu avances, plus tu comprends l’importance de ce genre de routines, de prendre soin de son corps.

L’été qui suit, je suis appelé en équipe de France pour remplacer Yannick Bokolo et je prolonge à la SIG avec un salaire confortable. Nouveau contrat, nouveau statut d’international : je me rends compte, avec du recul, que les attentes étaient différentes. Tu n’es plus le petit jeune mais l’équipe est construite autour de toi. Tu as l’étiquette de meilleur marqueur français et d’international, les gens deviennent de suite beaucoup moins indulgents. De plus, Vincent Collet est arrivé. J’avais toujours été dans un certain confort au niveau basket et j’étais confronté pour la première fois à autant d’exigences. Tout ça d’un coup, c’était compliqué à assimiler. D’où ma saison difficile… Je n’ai pas apprécié la façon dont j’ai été poussé vers la sortie par Strasbourg (le président Martial Bellon ayant publiquement déclaré : « D’un point de vue statistique, il est le plus mauvais poste 2 du championnat », ndlr). Quand tu es jeune, ce n’est vraiment pas plaisant. C’est la première fois que je découvrais vraiment le business mais ça fait partie du métier au final. »

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La SIG, douloureuse sortie du cocon dijonnais
(photo : Sébastien Grasset)

BCM Gravelines-Dunkerque (2012/14),
un trophée puis le début des ennuis

« J’aurais pu aller dans une équipe de milieu de tableau pour continuer à avoir des grandes responsabilités mais j’avais besoin de me mettre en danger. Le BCM sortait de sa saison à 27-3, l’équipe était chargée comme jamais, j’allais être en concurrence avec Yannick Bokolo, international et multi All-Star, j’avais besoin de ça. Je savais que les rôles allaient forcément être dilués, j’ai signé en connaissance de cause. Sur le plan individuel, les responsabilités sont forcément moindres mais sur le plan collectif, c’est top. On gagne la Leaders Cup, on va au Final Four de l’EuroChallenge…

Mais c’est aussi à Gravelines que débute la première opération d’une longue série. Lors du deuxième match de Coupe d’Europe, je me romps le ligament scapho-lunaire du poignet. J’en ai pour 4 mois. Première opération… d’une longue série. C’était compliqué à vivre car il y avait la saison d’EuroCup, c’était attrayant, d’autant plus que j’avais réussi ma première à Rome (17 points). Je n’ai joué que trois matchs d’EuroCup, je n’ai pas pu bénéficier de cette plateforme. Le BCM, ça partait bien mais ça se termine finalement sur une saison compliquée collectivement et individuellement. »

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Abdou M’Baye sous le maillot maritime face à son ami Benjamin Monclar
(photo : Sébastien Grasset)

SPO Rouen (2014/16),
abonné à l’infirmerie

« Je décide d’aller à Rouen avec le projet de retrouver des responsabilités et pouvoir de nouveau m’exprimer en Pro A. Si l’été passé avec l’équipe de France A’ m’avait régénéré et permis de retrouver des sensations, j’estimais avoir besoin de jouer. Malheureusement, lors d’un match à Châlons-Reims, mon ligament croisé cède après une pénétration. Le diagnostic n’est pas clair et je refais même un match avec une attelle de fou contre Dijon : 15 points sans mettre un pied dans la raquette (il rit). Après deux ou trois autres rencontres pas top, les examens révèlent finalement les croisés et tout ce qui s’en suit : neuf mois d’arrêt, une opération, la rééducation. C’était frustrant car collectivement, on était bien, presque dans les clous de la Leaders Cup. Le début de saison était sympa pour un promu.

La saison suivante, je dois faire une dizaine de matchs à tout casser (16 en réalité, ndlr). Et contre l’ASVEL à domicile, je retombe sur un rebond et je me fais une rupture du tendon rotulien de l’autre jambe. Une blessure extrêmement rare. À ce moment-là, je me dis : « Bon, là, comment on fait ? » (il rit) »

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En deux ans à Rouen, Abdou M’Baye a disputé 27 matchs pour 6,5 points de moyenne
(photo : Vincent Janiaud)

 Quatre opérations en deux ans,
la difficile reconstruction après le deuil de ses ambitions

« En tant que joueur, tu te construis physiquement et mentalement pour ces années-là, celles censées incarner ton prime, et moi, je les ai passées à l’infirmerie. C’est compliqué… Par rapport à tes attentes initiales, tu es obligé de te réadapter. Je me suis fait opérer deux fois du poignet, une fois de chaque, dont la main shooteuse forcément, du ligament croisé et du tendon rotulien. Soit quatre opérations en deux ans. Honnêtement, les premiers jours après le tendon rotulien, j’ai dit que j’arrêtais. Mentalement, je n’arrivais pas à me dire que j’allais repartir. Or, là, c’est plus mental qu’autre chose.

Il faut aussi se reconstruire en tant que joueur de basket. Après quatre opérations du genou, tu sais très bien que tu ne seras plus jamais le joueur que tu as été à une époque. Il faut faire le deuil de tes attentes, repartir sur de nouvelles perspectives, une nouvelle façon de jouer. Il faut s’adapter, un peu comme Derrick Rose a su le faire. Après, de mon côté, faire le deuil n’a pas été trop compliqué. J’ai toujours réussi à prendre du recul par rapport au basket en le considérant vraiment comme un jeu. Je me suis rarement rendu malade pour un match perdu, que cela soit un défaut ou une qualité. Au final, ce n’est que du basket. On est des privilégiés de la société. Tu te lèves le matin et tu ne vas pas à l’usine, tu ne vas pas aller faire des horaires de bureau mais quatre heures maximum d’entraînement pour ensuite pouvoir voyager et jouer devant des salles pleines. Le deuil a été facile à faire mais la complexité fut de se reconstruire en tant que joueur de basket, de trouver un moyen et la motivation de faire le métier que tu aimes d’une nouvelle façon. »

SLUC Nancy (2017),
retour raté

« J’ai vraiment pris mon temps lors de ma deuxième rééducation. Le MSB a eu la gentillesse de m’accueillir pour me remetrre dans le bain puis j’ai passé la deuxième partie de la présaison avec Nanterre, ça m’a vraiment permis de voir où j’en étais. J’ai signé à Nancy pendant la trêve. C’était très particulier, la première fois que j’arrivais quelque part en cours de saison. On ne va pas se mentir, le contexte était volcanique. Moi qui voulais juste me relancer et trouver des repères, la situation n’était vraiment pas idéale. Il n’y avait pas du tout de stabilité. Personnellement, cela faisait quasiment trois ans que je n’avais pas joué régulièrement alors je n’étais pas vraiment prêt. On aimerait toujours que ça se passe mieux mais c’était presque prévisible. »

Fos-Provence (2017/19),
renaître

« Je n’avais pas pas tant d’options. À Nancy, je n’étais pas revenu prêt et les gens l’ont vu, forcément. À partir de ce moment-là, il fallait se poser les bonnes questions : est-ce que tu veux forcer la chose et attendre un spot de pigiste, quelque chose de très aléatoire, ou partir sur un projet ambitieux en Pro B ? J’ai penché pour la seconde option. J’ai énormément discuté avec Rémi (Giuitta) qui voulait connaitre mon état d’esprit, savoir comment j’étais mentalement et physiquement. De mon côté, je voulais aussi avoir des assurances sur l’ambition du club. Après 10 ans en Pro A, je ne me voyais pas redescendre si le projet n’était pas compétitif, avec l’ambition de remonter immédiatement. Il faut savoir, qu’à la base, je signe à Fos avec une période d’essai d’un mois. Si ça ne fait pas mal à l’ego ? Franchement, non, car il n’y avait pas le choix. Peu importe que tu sois un joueur d’EuroLeague ou de Pro B, si tu n’as pas joué au basket pendant trois ans, tu ne seras pas en confiance physiquement et mentalement.

Pour la petite histoire, avant de m’engager, je vais voir un chirurgien à Marseille pour checker mon genou. Et il m’a annoncé que j’étais passé à un millimètre de ne pas pouvoir rejouer au haut-niveau, selon l’endroit de section de mon tendon. Ça m’a permis de relativiser beaucoup de choses. Je suis quelqu’un de très croyant, je me suis dit que Dieu était avec moi de ce côté-là.

abdou-m-baye1641502873.jpegDouble bonheur à Fos-sur-Mer : rejouer et monter !
(photo : Sébastien Grasset)

« Par rapport à mon parcours… »

Ce qui a été bien avec Fos, c’est que j’ai eu le temps. Ils ont mis énormément de choses en place : du travail physique avec Karim Remil, du travail physique avec Yann Latil et Hervé Gozzi avec qui je suis reparti de zéro. On a effectué un vrai reconditionnement pour redevenir un joueur professionnel. À Rémi et tous les gens de Fos, je leur serais éternellement reconnaissent de m’avoir redonné ma chance et de m’avoir autant accompagné. En plus, notre équipe était surdimensionnée pour la Pro B avec des mecs comme Tariq Kirksay, Charles-Noé Abouo ou Pierre Pelos, ça m’a permis de prendre le temps de monter en puissance. Cette saison là, on avait un groupe incroyable, c’était le feu. C’était une super aventure ! Les débuts ont été compliqués mais on a fini par marcher sur la fin de saison et les playoffs où j’ai été impactant (13,5 points de moyenne en demi-finale notamment, ndlr).

Pour moi, c’était une victoire de remonter en Jeep ÉLITE et d’y rejouer. Un an après l’aveu du chirurgien, avoir contribué à l’accession d’un club qui espérait ça depuis 10 ans, rendre la confiance donnée par Fos, c’était grand. Le reste… La transition n’a pas été bien faite par le club mais c’était nouveau pour eux, ils ne connaissaient pas les exigences. Au final, pour moi, la relégation reste anecdotique. Par rapport à mon parcours et tout ce que j’avais enduré, vivre une montée, gagner des PO et retrouver la Jeep ÉLITE, c’était déjà quelque chose de beau. »

Poitiers (2019/21),
sortie oubliable

« On ne va pas trop en parler hein (il rit). C’était compliqué… Je voulais repartir sur un projet sur la durée. Poitiers m’a proposé un contrat de trois ans. Au début, ça semblait être un projet plutôt sympa puis Ruddy (Nelhomme) se fait virer au bout de sept matchs alors que c’est lui qui tenait un peu tout au club. Dès qu’il est parti, il y a eu un gros vide et ça a fait effet boule de neige : les résultats collectifs n’étaient plus là et moi, je ne m’y suis pas retrouvé. Ce n’est pas l’expérience la plus marquante. »

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47 défaites en 57 rencontres avec le PB86 lors de deux dernières saisons infernales
(photo : Sébastien Grasset)

Étudiant en troisième année de kinésithérapie,
une reconversion toute tracée

« Quand tu es blessé, tu as le temps de réfléchir, de remettre les choses en perspective… Tu réalises qu’il faut penser à la suite. Demain, tu arrêtes le basket, tu fais quoi ? Ta vie d’athlète s’arrête mais ta vie d’homme continue. La kinésithérapie m’a toujours intéressé : j’avais un an d’avance à l’INSEP en cours et j’avais fait option kiné en STAPS. Lors de ma deuxième année à Fos, c’est Hervé Gozzi qui m’a mis sur la piste des passerelles pour rentrer en école de kiné.

En 2019, mon dossier a été accepté à l’IFM3R, l’école de Nantes. On s’est arrangé avec le club de Poitiers pour concilier les deux de la façon la plus optimale possible. C’était très très intense : il y avait à la fois une charge physique et une charge mentale, au-delà de faire les deux heures de route entre Nantes et Poitiers. 60% des gens de ma promo avaient fait une première année de médecine et théoriquement, je devais être au même niveau qu’eux. Donc autant dire que je partais avec énormément de retard… Suivre des études supérieures en paramédical, c’est du travail, de l’investissement et se mettre en danger aussi. Je ne suis pas sûr que beaucoup de sportifs professionnels l’aient déjà fait. Je me suis retrouvé en cours avec des gens de 18 à 20 ans. Recréer un lien social avec des gens lambdas entre guillemets, j’ai trouvé ça super enrichissant car ça m’a permis d’encore plus apprécier ce que j’avais pu faire auparavant. Lors du confinement, je n’ai fait que bosser la kiné. Je passais 5-6h par jour sur mes cours pour combler mon retard dans la façon d’apprendre les choses, dans les connaissances théoriques et pratiques. Il y a quelque chose de grisant : plus tu apprends, plus tu veux apprendre.  J’ai vraiment pris goût à ce processus d’apprentissage et cette voie qui n’était pas forcément évidente à la base.

Il me reste deux années avant d’être diplômé. Le confinement a accéléré mon processus de décision. La deuxième année à Poitiers ne s’est pas bien passée donc j’ai pris la décision de me consacrer à ça. J’avais eu des aménagements au niveau des études l’an dernier. Mon choix s’est porté sur un cursus normal et me lancer pleinement là-dedans. L’avenir est encore en réflexion. C’est comme si j’étais un rookie au niveau kiné. Idéalement, j’aimerais évidemment avoir une spécialisation dans le sport et qui plus est, dans le basket, forcément. Mon vécu, ma perception du corps et du milieu basket pourraient servir ensuite. Le champ est immense : que ce soit au niveau du travail individuel avec les joueurs, les  clubs, les équipes de France juniors, le 3×3, il y a énormément de perspectives. »

Rezé (depuis 2021),
la Nationale 2, pour la beauté du geste

« J’aime le basket ! Une fois ce choix effectué au niveau professionnel, je voulais trouver un endroit où je pouvais prendre du plaisir à un niveau compétitif. Je suis rentré en bon contact avec ce bon vieux Williams (Soliman, côtoyé lors de la prépa équipe de France 2008 sous l’ère Michel Gomez, ndlr). Avoir quelqu’un comme ça avec sa carrière, dans ce club, il a su me donner les bonnes réponses à mes questions… Je le sentais très épanoui par rapport à son choix.

Le club est très familial et se construit tranquillement. Si moi je peux prendre du plaisir à jouer au basket et les aider… Pour l’instant, ça se passe très bien, on gagne des matchs, les gars sont top. Ils ont tous quelque chose à côté du basket, il n’y a plus cette même pression que dans le haut-niveau. Je dois juste m’adapter aux déplacements en minibus (il rit). »

abdou-m-baye1641473483.jpegAprès douze journées de NM2, Rezé est cinquième de la Poule D et M’Baye compile 10,4 points de moyenne
(photo : Rezé Basket 44)

Une parenthèse enchantée en équipe de France,
le grand monde

« J’ai trois sélections, mais un seul match (contre le Canada le 26 juillet 2011, ndlr). À Pau, devant 8 000 personnes, et c’était la vraie équipe de France ! Il y avait Boris (Diaw), Nando (De Colo), Tony (Parker), Joakim (Noah), Kévin Séraphin… Il y avait tout le monde ! Passer un mois avec eux, avoir cette première cape, ce statut d’international qui reste au final, c’était une super expérience. Les gars ont vraiment été top, tous, que ce soit TP, Boris ou les gars de ma génération comme Nicolas et Antoine que je connaissais plus. Je me suis senti super à l’aise, même si je devais aller chercher les ballons avec Kévin dans les tribunes du Palais des Sports (il sourit) J’ai appris énormément de choses. C’était aussi une occasion de se rendre compte aussi à quel point les joueurs sont forts. TP à la télé ou sur un terrain, ce n’est pas pareil… En vrai, on voit à quel point il est bon. À quel point Joakim est physique, dense, intense, prend la raquette comme quatre. Ce sont des choses qui marquent et que tu es heureux d’avoir vécu. J’étais sur le parquet avec Tony, Nico et Boris, t’imagines le symbole ? »

abdou-m-baye1641503253.jpeg6 minutes de jeu, et 5 points, en équipe de France pour le n°16 des Bleus
(photo : Fédération Française de Basketball)

Le bilan :
« Ce n’est pas par manque de travail ou d’investissement… »

« Faire 15 ans de haut-niveau, ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai contrôlé ce que j’ai pu contrôler. Les blessures, tu ne les contrôles pas. Quand tu t’apprêtes à rentrer dans ton prime et que tu ne joues pas pendant trois ans, ça remet forcément les choses en perspective. Au-delà de ça, je suis super content, super fier, d’avoir vécu tout ça, rencontré toutes ces personnes, d’avoir été un privilégié et d’avoir vécu dans cette bulle pendant 15 – 20 ans. Toute cette expérience pourra me servir dans ma future profession, afin de transmettre le plus possible ce que j’ai pu expérimenter. C’est plus quand les gens m’en parlent que je me rends compte de ce que j’ai accompli. Quand tu as la tête dans le guidon, c’est compliqué de réaliser. Là, par exemple, je suis en stage pratique et mon maître de stage aime bien me chambrer en disant aux gens : « Vous savez, il a été pro pendant quinze ans, il a joué avec Tony Parker ! » Généralement, ils me regardent ensuite avec de grands yeux et c’est là où tu réalises ta chance et la portée de ce que tu as pu faire.

Si je n’avais pas eu de pépin physique, peut-être que j’aurais eu des regrets. Mais franchement, non, je n’en ai pas. Je sais que ce n’est pas par manque de travail ou d’investissement que les choses ne se sont pas faites. Je suis surtout reconnaissant d’avoir pu vivre de ma passion et d’avoir pu faire ma transition en douceur. Après, oui, ce que les gens disaient en permanence, « il a été meilleur marqueur français », je l’ai ressenti pendant un moment et ça commençait à me gonfler. Les gens t’en parlent tout le temps et il y aura forcément une attente derrière ça. Mais au fond de toi, à partir du moment où tu es en paix avec toi-même et que tu ne cours plus derrière ça, il n’y a pas de frustration. Physiquement, moi, je ne pouvais pas. Courir aussi vite, sauter aussi haut, c’était devenu impossible. Je ne pouvais clairement plus faire les mêmes choses qu’avant.  Cinq relégations en quinze saisons ? Sur le coup, ce n’est pas agréable mais j’ai réussi à me détacher de tout ça. L’investissement, je l’ai mis pendant trois ans pour revenir après être passé à un millimètre de ne pas rejouer au basket. Et c’est presque autant une fierté que les 45 points contre l’Ukraine, les 27 points à 18 ans en Pro A ou toutes ces performances individuelles. »

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