Yvan Ouedraogo, Français, multi-capé chez les Bleuets mais non-JFL : « Injuste d’être considéré comme étranger dans mon propre pays »

Yvan Ouedraogo a largement contribué au maintien d’Evreux en Pro B
Bordelais, ancien pensionnaire du Pôle France et des équipes de France jeunes – quatre campagnes et finaliste de la Coupe du monde U19 en 2021 -, Yvan Ouedraogo (2,06 m, 23 ans) est pourtant étiqueté non-JFL. Cela ne l’a pas empêché de reprendre le fil de sa carrière à Évreux, club qu’il a aidé à se maintenir en Pro B, mais cela l’handicape considérablement pour la suite en LNB.
Le mois dernier a été pour le moins crucial pour vous, c’est presque votre saison 2025-2026 qui s’y est jouée…
Clairement ! Si je dois retenir quelque chose de cette saison, c’est ce mois et demi très intense à Évreux. J’arrive dans un club qui était dernier du championnat et sur une série de dix défaites. J’arrive dans l’optique de se sauver et on termine maintenu, avec même une place d’avance sur la zone de relégation ! Tout a bien cliqué : j’ai été bien accueilli dès le début, titularisé d’entrée, et bien intégré malgré la mauvaise dynamique collective. En ayant vécu longtemps aux États-Unis, je pense avoir apporté un équilibre et rapproché les Américains de l’équipe des autres joueurs.
Je me sens un peu fatigué mentalement car ça n’a pas été facile de revenir. Entre le transfert avorté en Turquie car j’avais attrapé la malaria, ma blessure à l’épaule et la période pas super en Allemagne : je suis drainé mentalement mais finalement content !
« Ce qui m’a attiré, c’est ma confiance en Marc Namura »
Vous avez enfin pu signer ton retour en France avec Evreux, après des rumeurs à l’automne. Est-ce un retour que vous attendiez ?
Pour clarifier les premières rumeurs, j’ai eu plusieurs offres en Pro B, dont Evreux. Mais malgré ma formation en France, je compte comme un joueur étranger et ne peut être recruté avec le statut de JFL (Joueur Formé Localement). J’ai très mal pris le fait de ne pas être considéré comme tel, après toutes mes aventures en équipe de France. Alors je n’avais pas envisagé revenir en France.
Pendant tout le début de saison, je suis resté en contact avec le coach Marc Namura, car on se connait et qu’on prend des nouvelles l’un l’autre. Le projet d’Evreux est sorti de nos échanges, mais ça n’était pas du tout le but à l’origine !
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le challenge d’Evreux, vous qui étiez engagé sur des expériences à l’étranger précédemment ?
Je ne me sentais pas bien en Allemagne, où je me suis retrouvé derrière deux gars alors que je n’avais pas signé pour ça, en plus d’autres problèmes liés au club. Honnêtement, ce qui m’a attiré, c’est ma confiance en Marc. Le coach a fait un vrai pari au moment de me recruter. Je n’étais pas très bon dans une ligue inférieure à la Pro B. Mais il me connaissait, il m’a directement dit que j’aurai des minutes, que j’allais être impactant. Je savais que ça allait fonctionner, et j’ai pu montrer ce dont j’étais capable. Des rumeurs disaient que j’étais blessé, que je n’avais pas joué depuis un moment, que je n’avais pas fait mes preuves en pro…
Et puis, il y a ce challenge sportif, de sauver l’équipe. Comme basketteur professionnel, j’aime me challenger et relever des défis. J’avais la possibilité d’aider un club à se maintenir, d’avoir tout un club et toute une ville derrière moi et les rendre fiers en retour. J’ai saisi l’opportunité, sans même penser à l’éventualité où ça ne prendrait pas.
Finalement, ce retour est plutôt réussi avec le maintien obtenu et vos bonnes performances individuelles…
C’était le meilleur scénario possible ! On se maintient et je tourne à plus de 11 points et 7 rebonds sur ma période à Évreux, sans temps d’adaptation. Le retour s’est extrêmement bien passé, et je dois remercier Marc pour ça, mais aussi tout le monde à Évreux, qui a été super !
Et personnellement, comment jugez-vous votre courte saison française ?
Je suis satisfait de mon impact, de mon apport offensif. J’ai pu montrer de belles choses mais je peux encore mieux faire en corrigeant mon adresse aux lancers francs notamment. Je dois revenir à mes standards, pour être meilleur dans le futur.
Vous êtes parvenu à revenir en étant impactant dans les raquettes en Pro B, est-ce que cela peut vous motiver à vous inscrire dans la durée en France ?
Honnêtement, oui et non. Oui car c’est un championnat que je commence à connaître en ayant joué à Evreux. Et non car ne pas avoir le statut de JFL me freine autant que cela freine les clubs pour faire appel à moi. J’espère qu’il sera possible de voir avec la Fédération pour obtenir ce statut. Mais c’est sûr qu’être dans une grosse équipe française de Betclic Elite m’intéresserait énormément.
Après la saison que je viens de faire, je veux faire une saison complète. Si c’est à l’étranger, je dois avoir des garanties pour ne pas vivre une nouvelle mauvaise passe. Je cherche la meilleure situation possible pour moi, en France ou à l’étranger.
« Une saison comme la mienne ne serait pas arrivé à un joueur français ayant le statut de JFL »
Pour quelles raisons n’avez-vous pas le statut de JFL ?
Je suis né à Bordeaux, mais je suis parti au Burkina Faso à l’âge de 6 ans avec mes parents. Je n’ai commencé le basket sérieusement qu’à 12 ans en rentrant à Bordeaux vivre chez ma grand-mère pour m’entraîner et améliorer mes skills pendant un an à l’académie Kameet Basketball. J’ai ensuite pris une licence aux JSA Bordeaux pendant un an puis à l’INSEP pendant deux ans. A l’époque, j’étais parti (aux Etats-Unis) car je n’avais pas de vrai projet chez les pros et j’avais déjà mon bac avec un an d’avance, à 17 ans. Tout ceci fait que je n’ai pas le nombre d’années suffisant pour être “naturellement JFL”.
Je ne vis pas bien le fait de ne pas être JFL car la France est le pays qui m’a vu apprendre le basket, mon pays de naissance pour lequel je n’ai jamais hésiter à mouiller le maillot chaque été en équipe de France jeune (cinq campagnes au total) peu importe comment je me sentais physiquement, mentalement après la saison NCAA précédente. Ça n’a jamais été une question à mes yeux, le maillot national est le plus beau de tous, et je ne trouve ça injuste d’être considéré étranger dans mon propre pays. J’ai été sanctionné par le fait que j’ai commencé le basket en club assez tard (14 ans) avant d’aller en NCAA (17 ans) pour continuer mes études et où j’ai obtenu un master. Je suis le seul basketteur de ma famille, personne n’a pu anticiper le fait que je ne serai pas JFL à l’époque. Je voulais juste progresser et m’amuser sans même connaître ou me soucier d’une règle comme celle-ci. Mais bon, aujourd’hui, je ne m’apitoie pas sur mon sort et vais de l’avant en espérant un potentielle changement de de la fédération dans un avenir proche. J’avais entamé les démarches avec la fédération sans succès l’été dernier, mais le combat n’est pas fini.

Du coup, après votre sortie de NCAA, vous vous êtes tourné vers le marché étranger. Il y a eu plusieurs mésaventures sur cette première saison sur le circuit européen… Comment la résumeriez-vous ?
C’est la première fois de ma carrière que je me retrouve embarqué dans une situation pareille. Je pense que ça ne serait pas arrivé à un joueur français ayant le statut de JFL, qui serait installé toute l’année dans un club. En tant qu’étranger, j’étais sur un marché plus large, en concurrence avec plein de gars. C’était très difficile mais cela m’a appris un niveau de rigueur et de préparation supérieur, pour se tenir prêt tout au long de la saison. Une carrière est faite de haut et de bas. Avoir su rebondir à Evreux m’a montré que j’étais fort mentalement, plus qu’avant.
Comment se relève-t-on de ces échecs successifs ?
Je suis un travailleur acharné, même si cela a été dur, je n’ai pas arrêté de travailler et je n’ai rien lâché. Je voulais être en moyen de saisir l’opportunité dès qu’elle se présenterait, et que je verrai la lumière au bout du tunnel. Je savais que mon heure allait arriver et que cet obstacle était un moyen d’apprendre quelque chose
Est-ce qu’il est difficile de faire la passerelle entre la NCAA et le monde professionnel ?
Oui et non. Dans ma situation de joueur français non-JFL, ça a été plus compliqué que pour les autres. Les clubs français ne m’ouvraient pas leurs portes car le statut les bloque. Et puis au quotidien, en NCAA, tu dois juste t’occuper de performer sur le terrain. Or, ça n’est pas la vraie vie. C’est forcément un petit changement mais rien de méchant. Après, au niveau du jeu, pas vraiment. Le niveau de la Pro B est différent : tu te retrouves face à des adultes, l’intelligence est très dominante ; mais j’ai su m’adapter basketballistiquement.
Justement, vous avez choisi avant beaucoup d’autres aujourd’hui de partir en NCAA plutôt que de vous lancer sur le circuit pro. Pourquoi ce choix ?
J’ai sauté une classe, ce qui faisait que je sortais de l’INSEP à 17 ans. Donc je n’avais pas d’offres en professionnel, seulement chez les espoirs, ce qui ne me tentait pas trop. Le fait d’avoir sauté une classe m’a permis de susciter l’intérêt des universités américaines, moi qui voulais un diplôme pour avoir des garanties après le basket. C’était l’opportunité parfaite pour mêler le jeu aux études.
« En NCAA, le financier a pris le pas sur le sportif. »
Comprenez-vous la hausse exponentielle de départs pour la NCAA, même chez les jeunes pros ?
Franchement, c’est compréhensible d’un point de vue salarial. Lors de ma première saison dans la Big 10, nous joueurs avons fait une manifestation pour obtenir une meilleure rémunération, car ça n’était pas possible d’être aussi peu payés par rapport à ce que prennent les coachs. J’ai un peu bénéficié du NIL lors de ma dernière année, mais les sommes de l’époque étaient dérisoires par rapport à celles actuelles. Quand je jouais à l’université, le but était d’aller en pro pour se faire payer. Aujourd’hui, tu prends des sommes astronomiques dès la fac. Le NIL a tout changé.
Il y a évidemment le côté expérience de vivre aux États-Unis, devenir bilingue… Mais on ne va pas se mentir, le niveau NCAA est bien inférieur à la Pro A. Le financier a pris le pas sur le sportif. Les salaires ont tellement augmenté que même un joueur moyen peut prendre 500 000 euros ! Pour prendre de telles sommes en Europe, il faut jouer en EuroLeague. S’ils peuvent prendre un million sur quatre ans, autant sécuriser leur futur… C’est difficile de lutter face à ça.
Est-ce vraiment une régression que d’aller jouer en NCAA ?
Pas vraiment car, si tu domines en NCAA, ça t’ouvre encore plus de portes. Et si ça se passe mal, ils auront toujours le statut de JFL pour trouver une porte de sortie en France. Il faudra qu’ils s’adaptent au jeu, beaucoup plus athlétique, pour y réussir. Mais je ne suis pas sûr que le fait d’aller jouer en NCAA, lorsque tu as des minutes en Pro A apporte une plus-value. Les meilleures universités ont à peine le niveau Pro B.
Revenons à votre carrière pour finir. Quels sont vos objectifs pour la suite ?
Je regarde toutes les options possibles pour la saison prochaine, pour faire le meilleur choix. Et à terme, je veux jouer au plus haut niveau possible : EuroLeague ou NBA. Mais il ne faut pas que je brûle les étapes, surtout avec le statut d’étranger. Avec du travail et des bons choix, je peux y arriver.
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