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Sheck Wes à Paris : coup de maître ou mascarade ?

« C’est bien réel », a commenté Nobel Boungou-colo, à grand renfort d’emojis flammes, sur l’Instagram du Paris Basketball. Car non, ce n’est pas une blague : ce qui ressemblait à une futilité sympathique aux destinées commerciales lors du mois de novembre s’est subitement transformé en réalité le 1er mars lorsque le club francilien a officialisé la signature de Khadimou Rassoul Cheikh Fall, alias Sheck Wes. L’artiste d’origine sénégalaise a bel et bien été enregistré en tant que contrat professionnel auprès de la ligue, en témoigne la création de son profil sur le site de la LNB. Il y est fait mention de sa date de naissance (10 septembre 1998), de sa taille (1,89 m), de son poste de jeu (meneur), de la durée de son engagement (du 4 mars au 30 juin 2021) ainsi que de ses repères en carrière, autrement dit les expériences précédentes. Ce qui peut souvent s’apparenter à une longue liste pour certains joueurs, entre plusieurs universités américaines et une petite dizaine d’équipes à travers le monde, est bien plus expéditif pour le néo-parisien : il y est simplement recensé une petite saison dans un lycée new-yorkais, Norman Thomas, en… 2013/14. Et rien depuis.

Beaucoup plus suivi que Tony Parker…

De fait, entre temps, Sheck Wes est devenu un rappeur de renommée mondiale. Enregistré sur une seule prise en free-style un jour de juin 2017, son titre « Mo Bamba » est devenu un véritable phénomène l’année suivante grâce aux coups de pouce de Drake, Shaquille O’Neal, Joel Embiid ou Odell Beckham Jr., passant 28 semaines d’affilée dans le Hot 100 Billboard (le classement hebdomadaire des 100 chansons les plus populaires du moment aux États-Unis), dont un pic à la sixième place le 8 décembre 2018. Son clip vidéo cumule ainsi 330 millions de vues sur YouTube, tandis que la bande son a été écouté plus de 685 millions de fois sur Spotify. De quoi permettre à Sheck Wes d’atteindre la barre symbolique du million d’abonnés sur Instagram. À titre de comparaison, avec un compte pourtant particulièrement actif, Tony Parker n’en compte « que » 639 000. Mais il n’est pas le n°1 en LNB dans ce domaine puisque Ovie Soko, l’excellent intérieur du Mans, en dénombre presque deux millions, grâce à son passé dans la télé-réalité.

Et le basket dans tout ça ? Originaire de Harlem, où il a joué avec Mohamed Bamba (Orlando Magic) au cours de sa jeunesse, Sheck Wes était, selon ses dires, le meilleur passeur du championnat new-yorkais lors de son année junior au lycée. Mais, happé par le monde de la mode, il n’a jamais tenté sa chance à l’échelon supérieur et a abandonné le basket structuré en février 2016 où, le jour d’un match de playoffs dans le Bronx, il préféra participer à un défilé organisé par Kanye West au Madison Square Garden. Depuis, il a continué à fréquemment poster des vidéos de lui balle en main, le montrant en train de dunker ou de participer à des pick-up games entre célébrités. Par exemple, sur YouTube, plus de 31 000 personnes ont regardé des highlights d’un match l’opposant notamment à Drake, Quavo et Justin Bieber… Et il a réussi un joli coup pour la promotion de son nouveau titre, « Been Ballin », en s’inscrivant à la Draft NBA et en mettant en scène ses envies de professionnalisme.

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Sheck Wes joue régulièrement au basket. De là à être recruté en tant que joueur professionnel ?

Club aux méthodes atypiques, de fait très américanisé par l’identité de son président (David Kahn, ancien GM des Minnesota Timberwolves), Paris a flairé la belle opération marketing en se rapprochant de Sheck Wes, via leur agence de communication Yard, jusqu’à conclure un contrat pour une arrivée programmée en mai prochain. Né en 2018 sur les ruines de Hyères-Toulon, le Paris Basketball a toujours fait preuve d’une communication très agressive, à contre-courant des usages du basket français : des influençeurs des réseaux sociaux invités au premier rang de la Halle Carpentier, la prime jeunesse francilienne comme cœur de cible de ses nombreux posts sur Instagram, ce qui en a fait de loin le club de Pro B le plus suivi sur la célèbre application (30 300 abonnés), « suivi » n’étant toutefois pas ici forcément synonyme de « soutenu » ou de « populaire ». Jusque-là, les innovations du club parisien avaient été couronnées de succès : le partenariat avec Adidas officialisé par la présence de James Harden et Donovan Mitchell sur le playground de Carpentier et les photos des deux stars tout sourire avec les t-shirts de Paris en juillet 2019, le Chinese New Year Game à Bercy en janvier 2020…

« Et s’il fait une chanson sur Begarin et Kamagate qui seraient en NBA ? »

Mais là, on peut légitimement se demander si Paris ne va pas trop loin ? Pour la première fois, le domaine marketing empiète complètement sur le sportif car Sheck Wes n’a évidemment pas été recruté grâce à ses qualités de basketteur. « Il y a vraiment des VRAIS basketteurs au chômage et Sheck Wes signe à Paris lol, ça ne s’invente pas », s’est ainsi ému l’ex-chalonnais Justin Robinson.

En offrant l’un de ses 16 contrat possibles au rappeur new-yorkais, priorité a été donnée à la communication et au buzz que cela pourrait entraîneur sur les réseaux sociaux. Formateur dans l’âme, il y a fort à parier que Jean-Christophe Prat se serait bien passé de mettre une telle célébrité dans les pattes de Milan Barbitch ou de Juhann Begarin sur les lignes arrières. Mais, pas associé à la signature de l’artiste, en première ligne sur le domaine sportif, l’ancien entraîneur de Denain s’est pourtant montré assez élogieux sur le calcul tenté par son employeur.

« J’attends de le voir à l’entraînement », nous-a-t-il expliqué samedi dernier à Fos-sur-Mer. « Je ne l’ai jamais vu jouer donc je suis bien incapable de l’évaluer. Peut-être qu’il a le niveau EuroLeague ou peut-être qu’il a le niveau NM3, je n’en sais rien. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il est intéressant de travailler avec un propriétaire américain. Ce sont des gens qui n’ont pas notre culture du sport et qui associent toujours le business et le sportif. Même en NBA, comme le montre l’exemple de Drake à Toronto. Quand Drake fait une chanson sur les Raptors, c’est bénéfique pour Toronto. Peut-être qu’un jour Sheck Wes sera un gros rappeur et s’il fait une chanson sur Juhann Begarin et Ismael Kamagate qui seraient en NBA, le business sera parfait. Je trouve que c’est intéressant en terme de modèle économique. On se plaint que la LNB n’est pas assez forte, ne prend pas de décisions, mais je pense que ce n’est pas le problème. Les clubs n’ont pas besoin de la LNB et peuvent très bien faire de belles choses seuls, en innovant, en proposant des choses différentes. Ça rendra tout le monde plus fort, peut-être également la LNB qui a énormément progressé. Plutôt que de se plaindre de notre basket français, on pourrait aussi apprendre de ce que font les autres. En soi, je trouve que l’idée de faire venir Sheck Wes est assez intéressante : c’est un mec qui a un million de followers alors imaginez que vous vendez 5 000 maillots à 100 euros, ça fait 500 000 euros. Peut-être que je dis des bêtises, je suis coach (il rit) mais toujours est-il que dans une période de pandémie où les clubs n’ont pas de revenus, je trouve que c’est plutôt innovant. Après, pour le domaine sportif, je ne me pourrais pas me prononcer tant que je ne l’aurai pas vu à l’entraînement. »

Médiatiquement, une semaine après l’annonce de la signature de Sheck Wes, les retombées sont assez faibles en France. Tout juste compte-t-on des articles de TrashTalk, d’Eurosport ou du Parisien parmi les médias ne traitant habituellement pas de la Pro B. Il en est également fait mention sur quelques sites spécialisés dans le rap. Mais Khadimou Rassoul Cheikh Fall n’étant pas ce qu’on peut appeler une superstar dans l’Hexagone, l’objectif de Paris est davantage de mettre un coup de projecteur sur le club à l’international. C’est déjà plus réussi : SLAM (1,1 million d’abonnés sur Twitter) ou Barstool Spots (2,8 millions) s’étant notamment fait l’écho de cette union surprenante, axant aussi sur la présence de David Kahn (toujours moqué outre-Atlantique, douze ans après, pour avoir préféré Jonny Flynn et Ricky Rubio à Stephen Curry lors de la Draft 2009) parmi l’état-major francilien. Il est bien sûr encore un peu tôt pour tirer un bilan qualitatif de cette opération marketing mais une chose est sûre : en dehors du cercle des aficionados de Pro B, le nom de Paris est beaucoup plus évoqué que celui de n’importe quel autre club de l’antichambre et le fait qu’il y a une équipe de basket dans la capitale commence tout doucement à s’imprégner dans l’imaginaire collectif.

Incompatible avec l’objectif Jeep ÉLITE ?

Et sportivement ? Le fait que l’enfant d’Harlem ne soit pas attendu dans le XIIIe arrondissement avant le mois de mai prouve que sa présence dans l’effectif de Jean-Christophe Prat n’est pas décisive pour la fin de la saison. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que les dirigeants parisiens espèrent faire coïncider son arrivée avec le retour du public dans les salles. Ce n’est pas avec les extraits vidéos postés sur son compte Instagram que l’on pourra se faire une idée du niveau de jeu de Sheck Wes. Un dunk ou une série de cinq tirs primés d’affilée ne prouvent pas grand chose mais il ne faut pas se faire d’illusions sur ses capacités à tirer son épingle du jeu en Pro B. Peut-être imagine-t-il qu’il pourra assez facilement se faire une place en seconde division française, tant cela parait obscur à côté des spotlights de la NBA, mais les exigences d’un championnat professionnel sont à des années-lumières de ce qu’il a connu au lycée ou sur les playgrounds de New York. Et si de vrais basketteurs professionnels ont du mal à s’adapter aux spécificités du jeu à l’européenne, qu’en sera-t-il pour un homme qui n’a plus évolué dans un collectif depuis cinq ans ?

Cependant, Sheck Wes ne devrait pas rester en civil en tribunes puisqu’il aura légalement sa place dans l’effectif du Paris Basketball en tant que troisième NJFL (au statut cotonou) de l’équipe, aux côtés de Ryan Boatright et Dustin Sleva. Pour son futur temps de jeu, tout dépendra sûrement des ambitions que pourra nourrir Paris à l’approche du sprint final. Idéalement, actuels neuvièmes de Pro B avec cinq victoires en dix rencontres, les coéquipiers d’Amara Sy visent la montée en Jeep ÉLITE, comme nous l’a confirmé l’Amiral.

« On vise les deux premières places. On sait que c’est encore indécis dans notre championnat mais il ne va pas trop falloir qu’on se laisse distancer dans les prochaines semaines. Notre bilan est équilibré mais ça ne suffit pas pour monter. S’il y avait eu des playoffs, on aurait pu se dire que tout restait possible mais qu’il n’y en ait pas change tout. Il faut vite qu’on démarre une série de victoires, ce que l’on a pas encore réussi à faire. C’est impératif pour se mettre en confiance, s’imposer et espérer finir dans le Top 2 car on sait que ce sera très dur. »

Si Paris est encore dans le coup pour l’accession au mois de mai, ce qui n’est pas dit tant on a pu voir le week-end dernier la différence avec une grosse cylindrée du championnat (75-87 à Fos), Jean-Christophe Prat n’aura pas de cadeaux à faire tant les enjeux sportifs seront grands. Même au sein d’une vision différente comme celle d’un David Kahn, le buzz éventuel engendré par les 15 points de Sheck Wes contre Saint-Chamond pèserait moins lourd que l’importance d’une montée en Jeep ÉLITE. Espéré à terme en EuroLeague par Jordi Bertomeu, le club parisien ne doit pas s’éterniser dans l’antichambre, quand bien même il lui serait profitable en terme de notoriété de surfer sur la curiosité suscitée par la présence du rappeur sur les parquets. Toutefois, si Paris n’a plus rien à jouer à l’approche du sprint final, ce qui sera le cas d’une majorité des clubs de Pro B suite à la suppression des playoffs, il semble réaliste d’imaginer que l’interférence de la communication sur le domaine sportif se poursuivra et qu’il sera exigé auprès du coach d’accorder un minimum de minutes à Sheck Wes. Tout en espérant que celui-ci sorte une passe décisive spectaculaire, puisque telle semble être sa spécialité, ce qui ne manquerait alors pas d’affoler les réseaux sociaux.

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Sheck Wes retrouvera la Tour Eiffel en mai. Il devrait alors rester une dizaine de matchs de Pro B à jouer

La plus-value sportive semble, au mieux, extrêmement limitée pour Paris mais l’opération mérite au moins d’être tentée, surtout d’un point de vue économique. De plus, le coup de projecteur sur le club n’est absolument pas négligeable et le basket français n’est de toute manière pas dans la position de pouvoir faire la fine bouche sur une telle publicité à l’échelle internationale. Et maintenant, si Sheck Wes n’est pas apte à apporter des minutes de qualité contre Gries-Oberhoffen et consorts, il pourra toujours animer les mi-temps à la Halle Carpentier. Ce qui devrait suffire en soi à remplir la salle au niveau de la jauge autorisée, si tant est que la saison ne se termine pas à huis-clos. 

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