Bathiste Tchouaffé, le basketteur de Sciences Po Paris qui rêve de diplomatie

Bathiste Tchouaffé mène une double vie originale dans le basket français
« Quand j’ai vu ça, j’ai enlevé mon pull et j’ai transpiré de fou », sourit Bathiste Tchouaffé. « Ça » ?! Une fin de match stressante d’Antibes ? Une séance vidéo musclée de J.D. Jackson ? Non, plutôt un oral à préparer en 15 minutes la semaine dernière, « sans savoir sur qui, ni sur quoi ça va être. » Le shooteur des Sharks est tombé sur Luigi Sturzo, figure du catholicisme italien, et son influence sur l’Italie de l’entre-deux guerres. « C’était cardio ! » Mais il s’en est bien tiré, avec un honnête 13/20.
Un 13/20 qui n’est pas siglé de n’importe quelle formation. Si une poignée de basketteurs ont une double vie étudiante en LNB, Bathiste Tchouaffé est le seul à fréquenter les bancs de Sciences Po Paris, l’une des écoles les plus prestigieuses de France, qui propose un cursus spécifique dévolu aux sportifs de haut niveau, auparavant emprunté par Teddy Riner ou Marie Pardon, pour parler basket.
« Le mail d’admission,
comme si j’avais gagné un trophée ! »
« Quand j’ai reçu le mail d’admission, c’était comme si j’avais gagné un trophée », sourit l’élève Tchouaffé, qui avait auparavant validé un… bac pro commerce à l’INSEP. ‘Rien à voir avec Sciences Po, oui », s’exclame-t-il. « J’étais arrivé un an en avance, en 3e, et je voyais l’état mental et physique des gars. Les S étaient des zombies, les ES à peu près pareil, alors que les STMG et bac pro étaient tranquilles. J’ai eu la chance que mon père me dise de mettre toutes les chances de mon côté pour réussir dans le basket. Il a eu raison. »
Un schéma payant pour débarquer dans le monde pro, mais comme beaucoup, Bathiste Tchouaffé s’est rendu compte que sa vie ne tournait pas nécessairement autour de la balle orange lors du confinement. « En restant plusieurs mois à la maison, je me suis demandé ce que je ferais si le basket s’arrêtait demain », raconte-t-il. De fil en aiguille, il s’interroge, discute avec des amis étudiants en école de commerce puis une copine tenniswoman scolarisée à Sciences Po Paris au sein du fameux cursus, et décide de tenter sa chance.

Une candidature sur dossier, avec tout de même une épreuve écrite, « assez complexe », sous forme de question ouverte sur une citation de l’écrivain américain Julien Green : « Être libre, ce n’est pas seulement ne rien posséder, c’est n’être possédé par rien. » Le Poitevin disserte sur une copie recto-verso. Assez pour convaincre le jury, visiblement. Et depuis ce jour-là, l’ancien capitaine de la génération dorée 1998 partage ses journées entre le basket et les études.
« C’est hyper intéressant », souffle-t-il. « C’est la meilleure école possible pour t’ouvrir sur le monde. Or, on est dans un milieu très refermé : on vit, on mange, on dort basket. C’est très important de s’oxygéner. On s’entraîne maximum trois heures par jour : un sportif de haut niveau a beaucoup de temps mort dans ses journées, l’idée était de les combler. »
Les voyages avec les Bleuets comme déclencheur
Alors qu’il approche de la fin de sa licence, Bathiste Tchouaffé gère son calendrier comme il l’entend, en ne suivant que des cours en ligne. « Ce qui est génial est que Sciences Po s’adapte à mon rythme de vie. » Dans l’attente d’un éventuel master, son programme reste pour l’instant assez général : « économie, histoire, géopolitique, littérature, et même poésie », énumère-t-il. « De la méthodologie aussi, c’est super important. »
Pour une thématique fétiche : la géopolitique, héritée de sa grande épopée… en équipe de France juniors. « Avec les sélections de jeunes, j’ai été dans beaucoup d’endroits qui ont fait l’actualité », retrace-t-il. « En 2013, on fait l’EuroBasket U16 à Kiev, quelques mois avant la révolte de Maïdan en ville et l’annexion de la Crimée par la Russie. En 2015, il y a une grande crise économique en Grèce et on y était pour l’EuroBasket : on voyait les gens faire la queue à la banque et acheter des pastèques pour 10 centimes. En 2016, on est en Turquie avant le championnat d’Europe et on vit la tentative de coup d’État de l’intérieur. Notre délégation avait été rapatriée en urgence. On regardait la télé turque, c’était choquant. Il y avait de la corruption, des militaires et des policiers déguisés, on ne savait plus qui était qui. Il y avait des policiers avec nous dans le bus, on partait dans des délires : « T’imagines lui s’il est corrompu ?! Il peut tous nous tuer. » Et on voyait des drapeaux turcs de partout, alors que si l’on fait ça en France, c’est limite parce qu’on vote extrême droite. »

De quoi profondément marquer la conscience déjà politisée d’un jeune adolescent. « À chaque fois que je voyais les infos, je me disais : « Waouh, j’étais dans ces lieux-là et j’y ai vécu ça ! » J’aime savoir où je vis, j’ai toujours voulu comprendre le pourquoi du comment, déjà de par mon métissage. J’ai un père Camerounais, une mère Française. Et quand tu es petit et que ton père te pointe du doigt un pays en Afrique sur la carte en disant qu’il a grandi là-bas, tu ne comprends pas trop, ça attise une curiosité… »
Un bagage personnel qui le pousse, naturellement, à être attiré par les relations internationales. « Je rêve de diplomatie, de travailler dans les ambassades », avance-t-il. « C’est un sujet hyper intéressant, ça me plairait vraiment. C’est en lien avec ce que j’aime : régler des conflits. Et indirectement, on représente la France, c’est ça qui est plaisant, d’autant plus que je l’ai vécu petit en portant le maillot bleu. »
Pas toujours bien vu dans le basket
Un pont avec sa carrière sportive, qui n’a d’ailleurs pas toujours fait l’unanimité dans les clubs où il a évolué ces dernières années. Bathiste Tchouaffé a beau jurer que sa priorité reste le basket, le prouver encore récemment avec un record en pro (33 points contre Rouen), difficile d’échapper aux regards réprobateurs de ses employeurs les soirs de contre-performance, et aux accusations de manque d’investissement.
« J’ai essuyé pas mal de critiques en faisant Sciences Po, notamment de la part de certains coachs, présidents ou GM. Ils me disaient que je n’étais pas concentré sur le basket. Sauf que ça n’a rien à voir. Mon équilibre personnel, c’est étudier et travailler, comme d’autres le trouvent avec les sorties. Ce n’est pas parce que j’ai accès à une école comme celle-ci que je ne vais pas me donner à fond sur le terrain… Surtout que quand on va au salon VIP après les matchs, ce sont généralement les premiers à dire aux sponsors : « On a un joueur qui est à Sciences Po… »

Ainsi, l’Antibois estime à 2h, en moyenne, le temps quotidien qu’il consacre à ses études. « C’est variable et ça va dépendre de plein de facteurs, comme ma fatigue », précisait-il ce mardi soir, alors qu’il sortait d’un bloc de 3h30 (14h – 17h30) de concentration intense sur ses cours au cœur d’un après-midi sans entraînement.
Le tout avec une routine bien particulière pour un basketteur professionnel : un lever plus matinal que les autres, afin de se plonger dans les différents journaux. « Je lis beaucoup les médias », indique l’arrière des Sharks. « Quand je trouve un sujet intéressant, je regarde les articles de tous les journaux afin de me créer mon point de vue. Se cultiver, c’est ça : prendre le temps de s’intéresser en profondeur à une thématique et lire différentes sources dessus. » Utile, aussi, pour ses travaux d’étudiants, comme lorsqu’un professeur a récemment débordé du cadre de son oral lié à la géopolitique de l’énergie, en l’interrogeant sur la COP30 de Belém.
Un 19/20 pour un travail sur le philosophe Michel Serres
Une pratique de plus en plus à rebours d’une époque saturée par la désinformation, les scrolls rapides et les titres chocs de certains médias orientés au service de l’idéologie de leur propriétaire. « Ce que je reproche à tout le monde, c’est de ne regarder que la télé, et des chaînes qui ne cherchent qu’à faire du bruit. Si l’on prend l’immigration par exemple, on en parle comme un fléau dans la politique française, alors qu’on est loin d’être le pays européen qui accueille le plus d’immigrés, ni en nombre, ni en proportion… »
Au cœur d’un monde où les opinions sans nuances règnent, Bathiste Tchouaffé tente donc de prendre de la hauteur à Sciences-Po, parfois sur les sujets les plus corrosifs possibles. « Récemment, j’ai fait un oral sur le conflit israélo-palestinien, qui est hyper vaste, complexe, ancien… » Ces derniers temps, il a aussi planché sur le passage au régime de la Vème République, sous l’égide du général De Gaulle, ou récolté un 19/20 suite à l’étude d’un article du philosophe Michel Serres, critiquant la création d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité Nationale lors de la présidence Sarkozy.

Parmi les travaux qui l’ont marqué lors de son cursus rue Saint-Guillaume : « un sujet sur les grands enjeux du XXIe siècle, notamment avec les guerres hybrides, qui m’avait passionné. On est tous un peu en conflit caché quelque part sans s’en rendre compte. Ou l’étude des DOM-TOM, comprendre pourquoi le coût de la vie est si élevé là-bas, pourquoi la France est contente d’avoir des îles un peu partout, sans forcément s’en occuper. »
Jugé uniquement en contrôle continu, Bathiste Tchouaffé estime sa moyenne aux alentours de 14 ou 15/20. Mais comme le basket ne se résume pas à la seule fiche de statistiques, la réussite de ses études à Sciences Po ne peut se lire qu’au travers de son bulletin de notes. « Au-delà d’être un athlète, j’ai envie de me bonifier en tant qu’être humain. Sciences-Po me permet cela. On vit dans un monde en constante évolution et j’adore apprendre des choses. Je suis curieux et passionné. » Et on n’a certainement jamais vu un basketteur aussi bien parler de Luigi Sturzo…

























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