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Éric Girard, coach (presque) à tout prix : « J’ai toujours tout donné, jusqu’à ma santé »

S’il s’était contenté de ses années de joueur − partagées entre la deuxième et la troisième division, à travers ses passages à la mène de Cholet, Salon-de-Provence, Cognac  et Toulouse, −, Éric Girard (55 ans) ne serait pas vraiment resté dans les mémoires du basket français. Mais l’enfant de Jallais (Maine-et-Loire) a finalement su inscrire son nom parmi les livres d’histoires de la LNB, en ayant la bonne idée de quitter les parquets pour se reconvertir dans le coaching.

De son engagement au centre de formation de Cholet Basket, où il a notamment accompagné l’exceptionnelle génération 1979-1980 de CB, jusqu’à son amour d’histoire avec Le Portel, il fut de cette génération d’entraîneurs qui accompagnait tous nos samedis soirs aux quatre coins de France, sur tous les parquets de Pro A. Il fut l’un de ceux que les supporters adversaires aimaient houspiller, il fut l’un de ceux qui s’est créé le plus d’inimitiés à cause de sa communication sans filtre. Mais il fut aussi l’un des techniciens les plus titrés, remportant la Coupe de France en 1998 et 1999 avec Cholet puis le Graal, le championnat de France en 2005 avec Strasbourg, agrémenté de la distinction de meilleur coach de l’année. Ces dernières années, Éric Girard a su dépasser le simple microcosme du basket français. Mais ce n’était malheureusement pas pour de bonnes raisons : il était devenu celui qui continuait à coacher malgré la perte de sa voix. L’essentiel est ailleurs : l’homme a vaincu à deux reprises un cancer des cordes vocales.

Nous avons énuméré ses trophées, il conviendrait aussi de citer les accomplissement tels qu’une finale de Semaine des As avec Le Havre ou deux montées en Pro A acquises avec Limoges et Le Portel mais sportivement, les choses ne sont plus aussi réjouissantes. Après avoir emmené l’ESSM jusqu’aux portes du Final Four de la FIBA Europe Cup (éliminé en quarts de finale par les Bakken Bears après prolongation) en 2018, la success-story du Portel semble avoir touché ses limites. L’an dernier, au terme d’une saison éprouvante, le club stelliste a arraché in extremis son maintien en Jeep ÉLITE grâce à une victoire décisive à Fos-sur-Mer. Cette année, le scénario ne semblait pas parti pour se répéter. Si bien qu’Éric Girard a pris une décision radicale : si la maladie ne l’a jamais empêché de continuer à entraîner, les mauvais résultats l’ont fait. Le 9 décembre, il a choisi de se retirer de son poste d’entraîneur afin de devenir le manager général du Portel. L’électrochoc n’a pas eu lieu, l’équipe nordiste est toujours lanterne rouge du championnat et ses espoirs de sauvetage résident désormais plus dans des raisons administratives que sportives.

Sans savoir s’il coachera de nouveau un jour, lui qui n’a jamais dit qu’il renonçait définitivement au banc de touche, Éric Girard nous a longuement conté sa carrière le 24 janvier dernier à Bourg-en-Bresse, enfermé dans la salle de presse d’Ékinox, sans pouvoir observer ses anciens joueurs qui s’entraînaient un peu plus loin sous la houlette de Jacky Périgois. Puis, l’actualité ayant considérablement évoluée en presque deux mois, nous l’avons rappelé mercredi afin d’actualiser la situation de l’ESSM. Celle d’une équipe en grande difficulté, où l’on devine la peine de celui qui voit fuir progressivement « un quatrième miracle » de rang

Son parcours d’entraîneur :

  • 1992/96 : Cholet Basket (cadets et espoirs, ainsi qu’assistant-coach en Pro A à partir de 1993)
  • 1996/2001 : Cholet Basket (Pro A)
  • 2001/04 : STB Le Havre (Pro A)
  • 2004/08 : SIG Strasbourg (Pro A)
  • 2009/11 : Limoges CSP (Pro B puis Pro A)
  • 2012/19 : ESSM Le Portel (Pro B puis Jeep ÉLITE)
  • Depuis décembre 2019 : GM de l’ESSM Le Portel

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Même une prothèse vocale n’a pas pu empêcher Éric Girard d’assouvir sa passion
(photo : Sébastien Grasset)

Cholet Basket (1992/01),
prophète en son pays ?

« Même quand j’étais joueur, j’ai toujours entraîné des jeunes.  J’ai eu sur la fin de ma carrière des gens qui m’ont donné envie de coacher : Laurent Buffard et Tom Becker entre autres. Ce dernier fut l’un des premiers entraîneurs américains en France et est resté mon mentor pendant longtemps. Il a amené beaucoup de nouveauté au niveau des entraînements et de la façon de voir les choses, j’ai beaucoup appris à ses côtés. C’est vrai que je me suis rendu compte très vite que ma carrière de joueur n’allait pas me mener très loin. J’avais une vraie détermination mais un talent limité, j’étais un joueur correct de Pro B. Un jour, Laurent Buffard m’a sollicité pour que je revienne à Cholet Basket et que je prenne le centre de formation. Or, quand on commence par l’excellence… Puis j’ai basculé sur la responsabilité des cadets et des espoirs, l’assistanat des pros. Il n’y a rien de mieux pour commencer une carrière que d’être dans un club myhique comme celui-là au niveau de la formation. Remporter deux championnats de France cadets avec Cholet m’a sans doute donné un certain élan, de la confiance, de la reconnaissance. J’ai eu la chance de travailler avec Aymeric Jeanneau, Cyril Akpomedah, Claude Marquis, Stephen Brun, Cédric Ferchaud, toute cette génération. Cela m’embête de ne pas tous les citer. J’ai aussi eu le bonheur de coacher Antoine Rigaudeau quand il était minime. Nous avons fait une finale ensemble contre le Cavigal de Nice, malheureusement perdue. Il fut le diamant, le joueur exceptionnel que tout le monde rêve de côtoyer dans sa carrière. J’aurais adoré le coacher en pro. Je m’e rappelle être allé le voir une dizaine de jours quand il était à Bologne avec Ettore Messina. C’est aussi la reconnaissance des grands joueurs qui sont capables de ne pas oublié leurs formateurs et les gens qui ont contribué à leur évolution.

Après le licenciement de Laurent Buffard (en 1995), le président Pasquier me convoque pour me proposer le poste mais je refuse par amitié pour Laurent. Je me rappellerai toujours de sa réponse : « Éric, peut-être que plus jamais cette opportunité ne se représentera à toi. » À la fin de la saison suivante, Jean Galle – devenu GM – et Monsieur Pasquier me reproposent le poste et là, je l’accepte. Entre-temps, j’avais dirigé un match, perdu, contre Antibes à la suite du départ d’Alain Thinet. C’est lui qui avait pris la succession de Laurent Buffard : il est arrivé dans une période compliquée à Cholet où il y avait de gros objectifs et le début de saison fut délicat. C’est quelqu’un que je respecte beaucoup, et qui aujourd’hui fait des miracles avec Saint-Chamond.

À l’époque, il y avait une vraie dynamique à Cholet. Nous avons connu de belles réussites, en participant notamment à l’EuroLeague mais qui fut malheureusement prise comme une récompense et non pas comme un nouveau palier à franchir. On n’a pas fait l’équipe qu’on aurait dû constituer pour essayer d’être performant en Euroleague. Il y a bien eu quelques belles victoires, dont une contre le Panathinaikos de Zeljko Obradovic et Dejan Bodiroga mais c’est tout. La Meilleraie était à moitié remplie, pas dans le projet EuroLeague et n’imaginait pas la chance que cela constituait d’évoluer à ce niveau. On peut dire que je suis un fidèle des fidèles à Cholet. On n’est jamais maître chez soi mais je pense bien avoir redonné au club la confiance qu’il m’avait accordé. Les deux Coupe de France furent un moment fort, les deux premiers trophées du club, les déplacements à Bercy en bus devant 13 000 personnes… Gagner la Coupe de France à deux reprises, cela lance une carrière et reste des moments inoubliables pour moi et tous les Choletais. »


La Coupe de France 1998, premier trophée majeur pour Cholet
(photo : Cholet Basket)

STB Le Havre (2001/04),
la confirmation

« En décembre 2001, je suis appelé à la rescousse au Havre afin de remplacer Michel Gomez. Son nom et son parcours sont exceptionnels mais cela n’allait pas au STB. C’est le premier club que je reprends en cours de saison et c’est une expérience que j’ai apprécié. Il y avait une multitude de joueurs qui sont passés lors de cette saison (28 !, ndlr) et on arrive à se maintenir malgré tout pour rebondir ensuite avec une finale de Semaine des As, qui représente presque un trophée pour un club contre le STB, ainsi que la première Coupe d’Europe du Havre. On a eu des garçons exceptionnels comme Jermaine Guice, Ricardo Greer pour sa première vraie expérience en Europe après un passage anodin en Ukraine… Nous sommes d’ailleurs restés en contact et il est encore venu aux nouvelles en décembre après mon arrêt. Le Havre était un club familial mais sans moyens financiers, cela reste de belles saisons. »

SIG Strasbourg (2004/08),
l’histoire s’écrit à Bercy

« J’avais déjà refusé de venir une première fois en 2003 car la SIG ne voulait pas que je vienne avec mon assistant de l’époque, Jérôme Navier. J’y vais finalement l’année suivante avec mes deux bras droits, Jérôme et Aymeric (Jeanneau), et nous sommes sacrés champions de France directement. C’est l’apothéose dans une carrière car il y a tellement de joueurs, coachs ou président qui font de beaux parcours sans jamais rien gagner… Paradoxalement, ce n’est pas la meilleure équipe que j’ai coaché dans ma carrière. On ne devait avoir que 5 millions d’euros de budget à l’époque, 8 ou 9 pros, mais c’était une équipe comme je les aime, avec beaucoup de charisme. Elle n’était pas facile à driver, il y avait des joueurs à caractère comme des John McCord ou des Ricardo Greer. Des joueurs qui aimaient vivre mais qui savaient aussi quand il fallait travailler. Il y a un garçon que je ne peux pas oublier, c’est Crawford Palmer, un profil de joueur pas très talentueux mais dur au mal et très intelligent. On a fait des matchs qui me laissent rêveur aujourd’hui, avec une osmose et une détermination difficiles à retrouver dans les générations actuelles. Cela reste une année exceptionnelle.

Derrière, on fait l’EuroLeague, là aussi sans vraiment se donner les moyens de constituer une équipe pour avoir des résultats et de séduire le public. Que ce soit avec Cholet ou Strasbourg, on n’a pas joué le jeu à 200%. L’EuroLeague est quelque chose que l’on ne fait peut-être qu’une fois dans une carrière pourtant. La preuve encore aujourd’hui. La priorité restait le championnat de France : on a terminé 3e puis 4e. Enfin, lors de ma dernière année, à un moment donné, on est 7e donc rien de catastrophique mais les dirigeants décident de changer de coach. J’ai été licencié d’une façon un peu particulière, peut-être que les gens ont pensé que Strasbourg allait être champion tous les ans. J’espère que le président (Jérôme Christ, ndlr) qui m’a viré regarde dans le rétro et se dit qu’il a été un peu vite en besogne. »

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26 janvier 2008 : il ne le sait pas encore mais, contre Roanne, Éric Girard vit l’un de ses derniers matchs au Rhénus
(photo : Olivier Fusy)

Limoges CSP (2009/11),
les montagnes russes

« En restant modeste, je n’aurais pas pu signer pour un autre club de Pro B que le CSP à l’époque. Limoges, c’est Limoges et je pensais sincèrement qu’on allait pouvoir collaborer de façon merveilleuse avec Frédéric Forte. Il était jeune, passionné et on avait beaucoup de points communs. Finalement, notre relation a été plutôt un fiasco avec une ingérence sur mon travail et un fonctionnement qui n’était pas conforme à mes habitudes. Aujourd’hui, j’en garde les deux finales que l’on a fait, certes perdues logiquement : la première contre Poitiers qui développait un très bon basket et la deuxième contre Pau où l’on monte malgré tout. Le retour en Pro A, c’était exceptionnel. Et j’en garde un souvenir marrant car on comptait sur une victoire de Pau pour valider l’accession (deuxième de la saison régulière, Limoges a éliminé Nanterre en deux manches sèches en demi-finale tandis que l’Élan Béarnais, déjà assuré de l’accession, a été poussé à une belle par Aix-Maurienne, ndlr). À la fin de l’entraînement, tout le monde s’est réuni dans Beaublanc. On a mis la radio avec des enceintes, un écran géant et on diffusait le match de Pau. C’est sans doute la seule fois de l’histoire que le public limougeaud a encouragé les Palois ! Il y a eu une belle fête avec 3 000 personnes venues pour suivre le match à la radio et des images captées d’une télévision locale. Il n’y a qu’à Limoges que l’on peut voir des choses comme ça. Quoique peut-être à Le Portel aussi…

Lors du retour en Pro A, je n’ai pas pu avoir les joueurs que je voulais. Je souhaitais faire venir Aymeric Jeanneau, deuxième meneur de l’équipe de France à l’époque, et Ricardo Greer, MVP du championnat, ça ne s’est pas fait pour des raisons assez futiles alors qu’ils étaient d’accord pour signer. Le club a finalement recruté certains joueurs que je ne connaissais pas et nous sommes partis dans le championnat avec une équipe qui ne ressemblait pas à ce que je voulais. J’ai fini par être licencié pour manque de résultats à la suite du tir au buzzer du milieu de terrain de Jamal Shuler avec Vichy. Je respecte cela, même s’il y aurait pu avoir beaucoup de choses à dire. Et surtout, hyper sincèrement, ce qui est arrivé à Fred ensuite est bien plus dramatique que toutes ces histoires de passé de coach. »

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Ici en 2009, Éric Girard n’a pas su s’entendre avec le président Forte lors de son passage au CSP
(photo : Olivier Fusy)

La maladie,
« Éric, on va déchirer ton contrat »

« Suite à mon licenciement du CSP, je suis resté un peu sur Limoges et on m’a découvert rapidement après un cancer des cordes vocales. Sur le moment, personne ne l’a su. Il n’y avait que mon amie de l’époque, mon frère et quelques très proches qui ont été mis au courant. Je n’ai même pas informé ma mère ou ma fille. J’allais me soigner très discrètement puisque j’allais faire de la radiothérapie à l’hôpital. J’entrais par une portée dérobée pour faire ma séance d’un quart d’heure et je repartais. J’ai été obligé de mettre des foulards à un moment pour le cacher à ma famille puisque j’avais le cou qui rougissait avec les rayons. Ce fut évidemment une période un peu dure. Jusqu’à l’arrivée du grand jour : on me dit que je suis guéri à 98% et que je peux reprendre mon métier.

Nous étions en cours de saison et j’avais volontairement tu ma situation pour ne pas effrayer les clubs. Un jour, le club du Portel, que je ne connnaissais pas spécialement pour être honnête, m’appelle. Il n’est pas loin de descendre en Nationale 1. En même temps, j’avais une offre pour aller au Liban avec des conditions financières et d’organisation exceptionnelles. En sortant de ma maladie, je me suis dit que je serais quand même mieux en France, au cas où il y avait un petit pépin ou un contrôle à faire. Alors j’ai débarqué par passion au Portel, non par argent ou par ambition, afin de relancer l’équipe. À l’époque, je ne signe que jusqu’à la fin de la saison mais le cadre de vie et l’ambiance me plaisent donc je choisis de rester.

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30 mars 2012, Le Portel – JL Bourg : tout sourire, Éric Girard entre en scène pour sa première à la tête de l’ESSM
(photo : Vincent Janiaud)

Très vite, la récidive arrive. C’est un nouveau combat qui n’est plus le même : on ne parle plus de rayons mais d’une opération car le professeur de Lille me dit qu’il ne me reste plus que deux mois à vivre si je ne fais rien. La récidive est à un tel niveau qu’il n’y a plus que cette solution. Sur le moment, j’ai failli m’évanouir car savoir ce que j’allais avoir mettait momentanément ou complètement une croix sur ma carrière, sur mon job, sur ma passion et sur ma vie. C’est un très gros coup dur mais ma famille, mes amis et le club ont été déterminants. Le président Yann Rivoal aussi. Quand je m’en vais lui annoncer la mauvaise nouvelle, j’ai déjà dans ma tête un président qui va sangloter sur mon sort mais qui va être décidé à embaucher quelqu’un d’autre pour le bien du club. Et là, je me retrouve face à un mec combatif qui me dit : « Éric, je te connais, je sais que tu vas revenir bien plus vite que ce que tout le monde peut penser. Ton contrat de un an, on va le déchirer et on va en faire un nouveau de trois ans. » Je lui réponds : « Président, je crois que vous n’avez pas bien compris. Peut-être que je ne pourrais plus parler et plus coacher. » Il n’a pas changé d’avis. Je crois que c’est aussi un élément capital qui a fait que je travaillais chaque jour d’arrache-pied pour justifier cette confiance. Quand j’étais malade, le club ne m’a jamais considéré comme un fardeau et il y a un parallèle à faire avec ma mise en retrait du coaching cette saison : il était hors de question pour moi, en pleine santé, d’avoir une équipe qui ne fonctionnait pas et je trouvais logique de me sacrifier pour maintenir le club.

Paradoxalement, ma maladie a aussi été une publicité exceptionnelle pour Le Portel. Je ne sais pas si la mairie et le club se rendent compte qu’on a surtout parlé de la ville grâce à nos résultats et à cause de ma maladie. Mon livre a permis plein de choses : quand Marc-Olivier Faugiel parle de Le Portel et qu’il connait l’histoire du club, c’est aussi à cause, ou grâce, de ce qui s’est passé. Dorénavant, ma santé va très bien, je peux travailler tout à fait normalement . Par exemple, je peux de nouveau animer des séminaires de 200 personnes pendant plus de deux heures… »

Le Portel (depuis 2012),
l’inattendue histoire d’amour

« En plus de cette farouche volonté de vivre et de redevenir un coach qui gagne, il a fallu tout reprendre. Il a fallu réapprendre à parler car je n’étais même plus capable de compter jusqu’à trois. Là où l’on m’avait prédit six mois, j’ai pris trois mois. Je me suis toujours fixé d’aller plus vite que ce que l’on me disait. Finalement, je n’ai pas loupé tant de temps que ça auprès de l’équipe. Il n’y avait rien de dramatique pour la survie du club puisque l’on avait un peu de marge. À mon retour, il a fallu se réajuster dans le coaching en utilisant un micro sans fil, en faisant revenir un assistant et un homme en qui j’avais toute confiance (Jacky Périgois, ndlr)… La maladie a changé mon fonctionnement, l’homme que j’étais, le compétiteur que j’étais. Mais au fond de moi-même, je reste le même avec l’envie de réussir là où tout le monde pense que je vais échouer. Et l’on connait la suite : une finale de Coupe de France contre Strasbourg, l’arrivée du Chaudron, une accession exceptionnelle en Pro A avec le 7-8e budget de Pro B et une équipe comme je les aimais avec des battants comme Benoît Mangin qui prend le relais dans mon coeur et ma philosophie d’Aymeric Jeanneau. Les playoffs restent un beau souvenir, on gagne à chaque fois sans l’avantage du terrain : à Bourg-en-Bresse qui venait d’embaucher Greg Beugnot puis à Fos-sur-Mer et Évreux. Il y avait des grèves de train alors on faisait les voyages en voiture, des trucs assez invraisemblables.

Avec l’un des plus petits budgets du championnat, nous avons réussi à faire des choses incroyables : les playoffs pour un promu – une exception avec Monaco sur les cinq dernières années -, un quart de finale de Coupe d’Europe qui n’est pas si négligeable, deux saisons exceptionnelles dans l’ensemble. Et même l’an dernier, il y a une phase aller plutôt intéressante et on arrive à gagner le seul match à l’extérieur qu’il fallait absolument prendre pour assurer le maintien, celui à Fos-sur-Mer en toute fin de saison. Malheureusement, cette saison, on s’aperçoit que la logique financière est respectée : les deux plus gros budgets sont en haut et les deux plus petits en bas. On a fait trois ans de miracles, on sait que ce sera difficile d’en faire un quatrième dans ces conditions-là…

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Que ce soit avec Jacky Périgois ou le président Rivoal, de fortes relations de confiance à l’ESSM
(photo : Sébastien Grasset et Yannick Coppin)

En début de saison, il nous semblait pourtant que l’on avait une équipe meilleure que les trois précédentes sur le papier. La préparation était satisfaisante et les premiers matchs encourageants. Malheureusement, lors de la première journée, on joue Dijon et au lieu de gagner, on perd de deux points. Ce fut le canevas de notre saison : il s’est passé la même chose à Cholet. Quand on voit ce qu’ils font maintenant, on se dit qu’on aurait pu être là. La logique sportive et financière nous a rattrapés cette année mais on s’accroche car on a des dirigeants qui veulent tout faire pour y arriver, un staff exceptionnel.  Avec un peu de recul, on se rend compte que nous avons fait des erreurs dans le recrutement avec des joueurs que nous avons payé relativement cher et qui n’ont pas eu l’impact attendu, tant humainement que sportivement. Il n’y a également pas eu l’éclosion de certains Français comme Cyrille Eliezer-Vannerot en qui on croyait énormément. Il y a eu des blessures, le fait d’avoir perdu nos deux leaders coup sur coup avec le départ sur un coup de tête de Frank Hassell après une réflexion somme toute banale de notre président et celui de Harrison pour d’autres raisons…

Début décembre, j’ai décidé de me mettre en retrait de l’équipe. J’aurais pu m’accrocher, toucher un chèque… Par respect vis-à-vis de mon président, des actionnaires et du public, j’ai préféré essayer de trouver une solution différente en me mettant de côté. Je ne vous cache pas que j’ai eu l’impression que, après avoir tellement donné pour le club et moi, les gens du Portel avaient vite oublié qui on était et ce que l’on avait fait avec des moyens dérisoires, sans directeur exécutif ni sportif, sans scout… Bref, avec le minimum en terme d’organisation. Je ne voulais pas gâcher toutes les belles choses que l’on avait fait ensemble et c’est l’une des raisons majeures de ma décision. Il n’y avait aucun problème entre les joueurs et moi mais je pensais que cela entrainerait une prise de conscience ou un électrochoc. Ma mise en retrait n’a malheureusement pas eu l’effet escompté, même si cela a pu aider Jacky et Christian (Monschau). Surtout, ça nous a permis de faire un meilleur recrutement et d’améliorer l’équipe ensuite. Cela ne se voit peut-être pas sportivement mais nous avons pu refaire un groupe avec des hommes de valeur, qui ont envie de travailler ensemble et qui s’entendent bien. Cela n’était pas le cas avant, comme à l’époque de Joe Alexander. Il y a eu des séquences cette saison où les joueurs n’avaient pas envie de jouer les uns pour les autres et cela s’est ressenti dans les résultats. En terme de volonté et de combativité, nous avons vu une différence énorme à partir du moment où nous avons reconstruit l’équipe. Malheureusement, cela reste difficile depuis mon départ (dix défaites en onze matchs, ndlr) mais au moins, les joueurs que nous avons maintenant jouent pour le club. Malheureusement, Jacky a dû composer avec des blessures en cascade et au bout de sept défaites d’affilée, le président a préféré jouer son va-tout et trouver quelqu’un qui apporterait quelque chose de différent et Christian est parfaitement rentré dans la philosophie du club.

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Depuis début décembre, Éric Girard prend désormais place de l’autre côté du banc
(photo : Pierre-Eliot Cornaton)

J’ai toujours la passion. C’est vrai que la saison dernière et ce début de saison m’a mangé beaucoup d’énergie. Même si ce n’est pas cela qui va mettre à genou après ce que j’ai vécu hors basket, ce n’est pas facile après avoir goûté aux trophées et aux clubs d’un certain standing. J’ai pris mon rôle de manager comme j’aurais aimé en avoir un à mes côtés, qui ne prend pas les décisions à la place du sportif, qui conseille, qui apporte son expérience. J’essaye de faire tout ce que personne n’a pu faire pour moi lorsque j’étais chez coach, je ne pouvais pas avoir la tête à 200% à ma tâche, je devais gérer plein de choses à côté. Me reverra-t-on sur un banc en train de coacher ? Je ne ferai pas partie des gens qui disent que c’est fini et qui reviennent deux mois après. Toutes les possibilités restent ouvertes aujourd’hui. Mon rôle me plait car il y a un travail énorme à effectuer puisque cela n’a jamais été fait. Vu que j’ai déjà passé huit ans à l’ESSM, je connais les manques et je vois automatiquement ce qu’il y à faire. Il y a un chantier énorme mais c’est très motivant. J’espère que j’aurai la même confiance du président en tant que GM et qu’on pourra encore faire progresser le club. On l’a fait de façon fantastique au niveau sportif, il faut maintenant le faire sur le plan organisationnel. »

Le bilan :
« Je suis très fier de ma carrière »

« J’ai eu beaucoup d’ennemis car j’ai souvent dit les choses. Cela a pu être pris comme de la prétention, de la fierté, une communication malhabile ou politique… Cela m’a empêché sans doute d’aller dans des clubs plus huppés ou de prendre en main l’équipe de France. Au moment de la succession de Michel Gomez, j’avais fait partie des trois coachs auditionnés par la fédération. Cela dit, Vincent Collet fut un très bon choix étant donné les résultats qu’il a pu avoir. J’avais vraisemblablement moins de talent que Vincent, mais aussi un franc-parler et un côté pas assez politiquement correct qui ne correspondait pas à ce type de job. Je sais que cela m’a coûté des propositions que mon CV aurait peut-être pu me permettre mais je n’ai pas de regrets sur ma personnalité.

Je suis très fier de ma carrière : j’ai coaché des clubs avec un peu de moyens, comme Cholet, Strasbourg et Limoges, mais surtout qui n’en avaient pas beaucoup, comme Le Havre et l’ESSM. J’ai toujours tout donné, jusqu’à ma santé. L’année dernière, j’ai été opéré d’un testicule car les docteurs craignaient qu’il y ait un risque de cancer. Dès que l’on en a eu un, c’est le garde-à-vous immédiat dès qu’il y a le moindre truc. Le lendemain de l’opération, j’étais sur le terrain alors qu’on m’avait dit de rester à l’hôpital. J’ai tout donné et jamais triché donc il est vrai que cela m’a fait mal qu’on me rapporte certaines critiques en décembre quand l’équipe était dans le dur, mais ça reste notre job qui veut cela… »

 Et aussi…

 Quel est le joueur qui vous a le plus marqué ?

Il y en a beaucoup. Aymeric Jeanneau reste mon joueur fétiche. Il a marqué ma carrière et ma vie d’homme. Je ne lui serais jamais assez reconnaissant pour tout ce qu’il a pu faire pour moi et le plaisir que j’ai eu à travailler avec lui. Il faut aussi citer Ricardo Greer, John McCord, Benoit Mangin… J’en oublie certainement : j’ai coaché 25 ans en ayant souvent tout dû refaire du sol au plafond, ça fait une belle quantité de joueurs et c’est difficile de citer tous ceux qui le méritent.

Quel fut votre meilleur coup de recrutement ?

Sans doute Ricardo Greer (recruté en 2002 au Havre, ndlr) et Chuck Eidson (en 2006 à Strasbourg), qui sont deux joueurs de niveau d’EuroLeague. Ricardo a été MVP en France (en 2010), Chuck l’a été ailleurs (en EuroCup en 2009).

Si vous deviez composer un cinq idéal ?

Je mettrais Aymeric Jeanneau en 1, car il faut des garçons comme lui pour gagner des matchs. Ensuite, Ricardo Greer d’un côté, Chuck Eidson de l’autre. C’est plus difficile à l’intérieur : j’ai eu à Cholet des garçons comme Stéphane Ostrowski, Fabien Dubos, Cedric Miller, Paul Fortier qui étaient tous exceptionnels. Et sur le banc, je prendrais Jacky Périgois comme adjoint.

Inversement, avez-vous connu un joueur particulièrement ingérable ?

Il n’y a pas besoin d’aller chercher très loin : l’an dernier, DeVaughn Akoon-Purcell, était un cancer, sans faire de vilain jeu de mots, dans une équipe.

Y-a-t-il des matchs qui vous ont marqué, le meilleur ou le pire de votre carrière ?

Le pire, il n’est pas si loin : c’était à Orléans cette saison, où l’on a perdu de 48 points (62-110, le 16 novembre). Le meilleur, je dirais toutes les finales que j’ai gagné car ce sont des matchs qui ont amené des titres. Des titres, beaucoup en rêvent et peu en ont. Il y a aussi eu la demi-finale en format aller-retour contre l’ASVEL avec Strasbourg en 2005 : on gagne de 18 points à l’aller, avant d’aller se qualifier à l’Astroballe (défaite 77-85).


« L’apothéose » en 2005, avec le « Gang de New York » : la SIG est championne de France
(photo : SIG Strasbourg)

Quel est votre meilleur souvenir ?

Les trophées avec Cholet et Strasbourg ont été capitaux dans ma carrière mais je crois que ce qu’on a réalisé au Havre et au Portel est tout aussi exceptionnel. J’ai souvent dit que j’étais meilleur comme coach avant-hier que je ne l’étais à Strasbourg car on peut avoir du talent mais l’expérience est irremplaçable. Un grand coach se reconnaît certes aux titres qu’il gagne, aux grands clubs qu’il dirige mais aussi en étant capable de maintenir un certain standing avec des petits budgets, des joueurs moins cotés, une organisation plus faible…

Vous étiez aussi connu pour cela : quel était votre plus gros coup de gueule ?

J’en ai eu beaucoup, et même avec une voix diminuée. C’est là que j’ai appris que l’on était capable de se faire comprendre sans avoir besoin de crier. Je l’ai énormément fait avant. L’amour vache a toujours été mon leitmotiv : j’adore tous mes joueurs, ils sont tous sur la même ligne de départ au début de la saison, mais je suis dur avec eux. Je leur dis souvent d’être heureux que je sois sur leur dos car le jour où je ne le ferai plus, c’est que je ne croirai plus en eux.

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