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Les basketteurs étrangers face à la crise en Ukraine : « On ne s’attend pas à une guerre potentielle quand on vient juste jouer au basket »

« Bien sûr qu’on pourra en discuter mais avant, ma priorité est de retourner auprès de ma famille sain et sauf. J’espère pouvoir le faire aujourd’hui. » Alors que la crise ukrainienne cristallise de plus en plus de tensions à la frontière avec la Russie, nous avons voulu savoir comment se sentaient les basketteurs étrangers en Ukraine. Et vendredi, à 12h45, la réponse immédiate de Du’Vaughn Maxwell met dans le ton. Après un dernier match disputé dans la soirée, l’ancien intérieur de Chartres réussira finalement à quitter le pays dans la nuit suivante, sur les coups de 4h du matin.

Les prémisses d’un exode à venir en Superleague ? Depuis le 26 janvier, l’ambassade américaine « exhorte » ses citoyens à envisager un départ immédiat, en raison de la « menace accrue » d’une invasion russe. Sur place, la vie quotidienne est normale selon les témoins mais la situation sécuritaire reste extrêmement imprévisible, avec des dizaines de milliers de soldats russes massés à la frontière et des exercices militaires  en Biélorussie, au Nord, ou en Crimée, au Sud, prenant l’Ukraine en tenaille. La Crimée, une péninsule déjà envahie et annexée par la Russie entre février et mars 2014. Un conflit qui avait durablement impacté le championnat ukrainien à l’époque, Zvezdan Mitrovic nous ayant par exemple raconté avoir dû fuir Mariupol en voiture.

Pendant que Moscou nie toute intention de déclencher un conflit armé, certaines puissances comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni ont tout de même rappelé leurs diplomates à la maison. Une décision jugée « prématurée » et « excessive » par Kiev. Mais pendant ce temps-là, certains autres étrangers sur place sont simplement payés pour jouer au basket… Nous en avons donc interrogé quatre : le premier à avoir quitté l’Ukraine en début de semaine dernière, Evan Maxwell (ancien pivot de Zaporozhye), et trois bien connus en France, Michael Stockton, ex-Choletais désormais aux manettes du Budivelnyk Kiev, le champion de France Pro B 2016 Chris Dowe qui fait désormais les beaux jours de Prometey et donc Du’Vaughn Maxwell, MVP officieux de Nationale 1 il y a deux ans qui avait tenté de prendre l’ascenseur du côté de Tcherkassy. Pour un panel de réactions différentes, entre ceux qui ont choisi de s’en aller et ceux qui espèrent encore pouvoir rester…

Michael Stockton

« De ce que je vois sur place, la situation n’est pas aussi grave de ce que l’on peut entendre aux infos partout dans le monde. Je reçois beaucoup de coups de téléphone de gens aux États-Unis qui me demandent si l’on va bien en Ukraine. Mais la vérité est que c’est plutôt silencieux ici. Pour l’instant, je me sens plutôt en sécurité. Je ne suis pas en train de me dire que je devrais quitter le pays. En plus, je vis à Kiev, la capitale, loin du Donbass où se concentrent les évènements, dans le Sud-Est du pays. Donc oui, je surveille l’évolution mais je ne panique pas. Je vais continuer à garder un œil sur ce qui se passe mais je ne me sens pas en danger actuellement. Je tente de ne pas trop y penser car sinon je vais me rendre fou.

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Niveau basket, Stockton tourne à 10 points et 6,8 passes décisives de moyenne chez le 2e du championnat
(photo : BC Budivelnyk)

Mon club essaye de nous transmettre les vraies informations concernant le sujet. Elles sont un peu différentes de ce que l’on peut trouver dans les médias aux États-Unis. Cela m’a un peu apaisé l’esprit. On en parle souvent avec mes coéquipiers : est-ce qu’on devrait partir, est-ce qu’on devrait rester ? Tous les jours, les opinions varient. On essaye de rester calmes et d’être là les uns pour les autres. Mes coéquipiers ukrainiens sont un peu plus habitués : cela fait plusieurs années que des évènements similaires surviennent. Ils ne sont pas aussi décontenancés que nous, qui n’avons jamais vécu ça. Mais c’est la réalité et il faut être préparé à tout. Sauf que pour l’instant, malheureusement, on ne peut rien faire d’autre qu’attendre. J’espère que rien de tout cela n’est sérieux. Si c’est le cas, je serais ravi de rester à Kiev et j’espère le faire. Dans le cas contraire, il faudra prendre une décision et peut-être partir. Mais à l’heure où l’on se parle, je pense rester ici et terminer la saison. »

Du’Vaughn Maxwell

« Je suis rentré aux États-Unis samedi. Vendredi soir, nous avons reçu le Budivelnyk et je suis parti directement après le match. J’ai dû faire deux heures de route jusqu’à l’aéroport de Kiev et j’ai décollé dans la nuit pour Washington D.C., via Francfort. Sur place, en Ukraine, la situation était plutôt normale mais ce qui m’a effrayé est le message de l’ambassade américaine nous exhortant de retourner aux États-Unis. J’ai fait confiance à leur jugement. Je suis un basketteur professionnel alors je peux me fier à mon instinct concernant le basket. Mais ce n’est pas le cas concernant la politique et la sécurité car ce n’est pas mon domaine d’expertise. J’ai écouté les professionnels. J’avais peur, ma famille avait peur et j’ai pensé que c’était la meilleure chose à faire. J’adore le basket mais la sécurité passe avant. À vrai dire, pendant les deux dernières semaines, depuis que la potentialité d’une guerre a émergé, je n’arrivais plus à dormir. J’ai essayé de m’informer au mieux possible et tout faisait sens. C’était juste trop angoissant pour moi de rester.

Mon club n’a pas accepté le fait que je voulais partir. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter, qu’ils me garantissaient que je serais en sécurité et qu’ils voulaient que je reste. Mais comment pouvait-ils réellement assurer ma sécurité ? Ils n’ont jamais apporté une réponse concrète à mes questions. J’ai partagé avec eux toutes mes inquiétudes, notamment la possibilité d’une guerre. Et rien ne pouvait me tranquilliser pour rester là-bas. Ils ont refusé de mettre un terme à mon contrat donc on va chercher une solution avec la FIBA pour pouvoir aller trouver un autre emploi dans un endroit plus sûr. Cela faisait une semaine que j’avais informé mon club de ma volonté de partir mais ils n’ont pas arrêté de refuser, m’ont dit qu’ils ne m’aideraient pas, qu’ils ne me payeraient pas le billet d’avion, etc. Ce qui m’a conforté dans le fait qu’ils ne pourraient pas faire grand chose pour m’aider si les évènements s’aggravaient réellement. Alors j’ai choisi de partir… en payant moi-même le voyage.

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Maxwell vendredi lors de son dernier match, presque bouclé en triple-double : 13 points, 10 rebonds et 9 passes
(photo : BC Tcherkasy Monkeys)

De ce que j’ai vu dans le championnat ukrainien ces derniers jours, tout le monde est inquiet. Personne n’a de bonne réponse et toutes les situations individuelles sont différentes. Certains sont en Ukraine avec leur famille, d’autres sont seuls. Au final, chacun doit faire ce qu’il pense être le mieux pour soi. Je sais qu’il va y avoir beaucoup d’autres départs très bientôt. Dans ces moments-là, on ne parle plus de basket, on ne parle plus de joueurs mais d’êtres humains. Une guerre est censée être la dernière chose dans votre tête quand vous jouez au basket (il rit). »

Chris Dowe

« Cela fait trois semaines que l’on commence à entendre des choses sur ce qui est en train de se dérouler à la frontière, sur la possibilité d’engager une guerre avec la Russie. Les locaux disent que ce genre de rumeurs arrive chaque année en Ukraine et que rien ne se passe au final. Mais c’est nouveau pour moi. Dès que j’entends le mot « guerre »… (il rit) C’est quelque chose que je ne prends pas à la légère. J’étais en Israël la saison dernière pendant le conflit du printemps : j’ai voulu partir mais dès que je réservais un vol, il était annulé. Je me rappelle avoir pris des billets d’avion pendant trois jours d’affilée mais je n’ai jamais pu quitter le pays. Mentalement, ça a été très dur. Je n’ai pas envie de revivre ce genre de situation et je prends cela très sérieusement mais rien ne bouge pour l’instant. Personne ne sait réellement ce qui va arriver alors je joue la montre. Tout ce que l’on peut faire, c’est attendre. Si les choses s’aggravent, je suis sûr que notre président a un plan et prioritisera la sécurité des joueurs et de l’équipe.

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L’ancien arrière d’Aix-Maurienne, Hyères-Toulon et Pau vit une saison faste avec Prometey
(photo : FIBA)

Je surveille la situation. Mes amis américains se tiennent informés, mes coéquipiers aussi. La sécurité passe avant le basket. Le club fait tout pour que l’on se sente à l’aise et bien au fait des évènements. Le président nous répète que si quelque chose arrive réellement, il nous protègera. Du coup, personne n’essaye de partir. Tout le monde veut rester, surtout que nous vivons une saison spéciale : nous sommes invaincus dans le championnat ukrainien et qualifiés pour le Top 16 pour de la Champions League. Personne ne veut rentrer à la maison sans avoir vu jusqu’où pourrait nous mener cette saison. Ça reste une situation très bizarre : quand on veut juste jouer au basket, on ne s’attend pas et on ne soucie pas d’une guerre potentielle. On ne pense pas bombes, missiles… C’est particulier, surtout deux ans d’affilée ! »

Evan Maxwell

« Je ne suis pas en mesure de le certifier mais je crois être le premier joueur à avoir quitté l’Ukraine suite à la situation là-bas. Si j’avais été seul sur place, j’aurais peut-être pris une décision différente mais j’étais avec ma femme et mes deux enfants en bas-âge. Quand nous avons reçu un email de l’ambassade américaine déconseillant de voyager en Ukraine ou alors de prendre beaucoup de précautions sur place, nous avons commencé à réellement faire attention à ce qui se passait. Puis nous avons vu que c’était l’escalade, que ça devenait très sérieux, quasiment un évènement mondial, donc nous avons décidé que le mieux était de partir avant que quelque chose n’arrive, avant qu’il n’y ait un vrai rush vers l’aéroport et des complications potentielles pour s’en aller. En tant que père de famille, il était de mon devoir que tout le monde quitte l’Ukraine en sécurité. Un ou deux jours plus tard, l’ambassade américaine a envoyé une nouvelle alerte aux résidents nationaux sur place leur recommandant de partir donc cela nous a confortés dans notre décision.

Quand j’étais encore là-bas, on parlait de ça quotidiennement avec mes coéquipiers américains. Les Ukrainiens n’aimaient pas trop en discuter en revanche. Mais avec les étrangers, on s’échangeait des articles et nos opinions sur ce que l’on devrait faire. C’était dur de savoir ce qui était crédible ou non alors nous avons finalement choisi de nous appuyer sur l’expertise de l’ambassade. Bien sûr, mon club ne voulait pas que je m’en aille et ils m’ont promis qu’un plan serait déployé en cas d’évènements graves. Encore une fois, si j’avais été seul, la donne aurait été différente… Mais c’était difficile de s’y retrouver car en Ukraine, ils sont tellement habitués à ça. Parfois, ils ne savaient même pas ce qui était en train de se dérouler car c’était presque normal pour eux. Je faisais confiance à mes dirigeants, je savais qu’ils auraient réellement tenu leur parole et qu’ils nous auraient aidé à partir au cas où. Mais avec ma famille sur place, prendre le risque n’en valait pas la peine. Nous voulions partir avant que ce soit la panique et la course vers les avions. Certains ont compris ma décision, d’autres non et ne l’ont pas du tout soutenu. Ça a rendu les choses plus difficiles mais au final, c’est plus grand que le basket. Nous nous sommes quand même séparés d’un commun accord avec Zaporozhye.

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Le 24 janvier, Evan Maxwell fut le premier joueur à quitter l’Ukraine en raison des évènements en cours
(photo : BC Zaporozhye)

C’était vraiment très décevant de partir. Jouer en Ukraine était une super opportunité, j’ai adoré le pays et mes coéquipiers. Mais ma famille passe avant tout. C’était trop stressant sur place. Par exemple, si quelque chose survenait pendant que j’étais en déplacement et ma femme seule à la maison avec nos deux enfants, la pensée de devoir se précipiter vers l’aéroport était effrayante et c’était trop demander à ma femme de devoir traverser ça. Maintenant, j’espère pouvoir aller jouer quelque part comme en France, en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Je crois que ce sont des pays un peu moins sujets à la guerre (il rit). À l’avenir, éviter des situations comme celle que je viens de vivre serait sympa. »

Oleksandr Proshuta

L’éclairage d’un journaliste sportif ukrainien :

« En Ukraine, les gens ressentent les tensions. Après, il n’y a de peur ou de nouveauté pour nous : nous vivons dans un stress constant depuis février 2014. Pour être complètement honnête, après les deux premières années de conflit, cette guerre est devenue locale et n’a ensuite cessé de rétrécir au vu des territoires et des gens impliqués. En dehors, la plupart des gens s’en sont lassés et ont essayé de vivre une vie normale et de construire quelque chose de nouveau. Maintenant, nous sentons que nos projets et nos désirs sont en danger. C’est certes incomparable avec 2014 quand on ne savait pas dans quel pays on allait se réveiller le lendemain ou la valeur qu’aurait notre monnaie, avec une triple dévaluation potentielle, mais l’inquiétude grandit. Cela fait deux semaines que la hryvnia, notre devise, chute. Nous essayons tous de continuer à vivre notre routine quotidienne normalement mais une petite pensée a émergé chez chacun de nous : quelque chose de mauvais pourrait survenir dans un futur pas si lointain.

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Les joueurs étrangers comme Michael Stockton pourront-ils rester en Ukraine ?
(photo : BC Budivelnyk)

En ce qui concerne le basket ukrainien, je vois trois scénarios.

1) Rien de mauvais n’arrive et la saison se termine normalement. Oui, des joueurs s’en iront peut-être et des équipes étrangères refuseront de venir jouer des matchs de Coupe d’Europe, mais nous échapperons à un exode massif. Je prie pour ce scénario.

2) Les joueurs américains seront forcés à quitter l’Ukraine par leur ambassade. Peut-être reviendront-ils pour les playoffs dans deux mois si rien ne s’est passé, mais tout reviendra sûrement à la normale la saison prochaine, et le niveau restera le même après une pause, comme à l’issue de l’interruption du championnat en 2020.

3) Le pire scénario. Les étrangers s’en vont et hésiteront à revenir à l’avenir. On penchera alors pour un retour vers le scénario de 2014, où le championnat ukrainien a été complètement stoppé dans son développement : pas d’argent, pas de sponsors, une réticence des bons joueurs à venir pour des raisons sécuritaires. J’espère sincèrement que cette situation ne va pas tuer le momentum que le basket ukrainien détient en ce moment. Mais ça rappelle vraiment 2014/15, évidemment.

Actuellement, les clubs font tout pour maintenir leur équipe en l’état. Ils parlent aux joueurs, à leur famille, les agents tentent de les convaincre que rien ne se déroule actuellement, ce qui est l’exacte vérité. Mais la plupart des clubs garantissent également aux joueurs qu’ils les feront quitter le pays aussitôt en cas d’urgence. Les clubs possèdent déjà l’expérience de la gestion de ce type de scénarios donc ils agissent de la bonne manière. Et la plupart des joueurs respectent leur contrat. Mais personne ne peut prédire ce qui va se passer dans le futur. »

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