ITW Élise Prodhomme, première femme coach d’une équipe de France masculine : « Je veux montrer que c’est possible »

Elise Prodhomme est écoutée de ses joueurs, avec qui elle a construit des saines relations
Élise Prodhomme, le CV
Carrière de joueuse (ailière) :
- 2005 à 2010 : Avenir Rennes [NF3,NF2 et NF1]
- 2010 à 2016 : UFAB Angers [NF1, LF2, LFB et EuroCoupe]
- 2016 à 2017 : COB Calais [LF2]
- 2017 à 2019 : UFAB Angers [LF2]
- 2019 à 2021 : AS Aulnoye [LF2]
Carrière d’entraîneur :
- été 2019 : Équipe de France U15 féminine (assistant coach)
- été 2021 : Équipe de France U16 féminine (assistant coach)
- 2021 à aujourd’hui : Espoirs de la JDA Dijon
- été 2022 : Équipe de France U16 masculine (assistant coach)
- été 2023 : Équipe de France U20 féminine
- été 2024 : Équipe de France U18 masculine (assistant coach)
- été 2025 : Équipe de France U18 masculine
Coach, êtes-vous satisfaite de ce que produisent pour l’instant vos joueurs [génération 2007/08], qui sont qualifiés en demi-finale de l’Euro U18 ?
Depuis le début, ils montrent que ce sont des joueurs qui ont besoin de confiance, qui ont besoin des uns des autres. Quand ils comprennent cela, ils sont très forts. En jouant collectivement, en mettant une grosse intensité défensive et en faisant les bonnes rotations, il peut se passer de belles choses.
Comment définiriez-vous l’identité de votre équipe ?
Il y a une philosophie de jeu : on a un jeu de mobilité, tout le monde bouge, donc obligatoirement ça crée des espaces pour nos joueurs qui sont capables de mettre des tirs. On a vu aujourd’hui [en quarts contre la Slovénie, victoire 80-58] qu’ils nous ont complètement fermé le tir à 3-points, et on a été en capacité d’aller marquer sous le cercle. Et il y a la profondeur d’effectif qui suit.
Ce sont les mêmes principes de jeu que vous aviez avec les U20 féminines il y a deux ans [championnes d’Europe] ?
On a le même jeu, les mêmes principes offensifs et défensifs. Il y a juste la manière de l’amener et de le faire comprendre qui est différente. Ce sont quasiment les mêmes systèmes…
Comment s’est passée la préparation ? Connaissiez-vous les joueurs avant ?
Ce sont que des joueurs que j’ai côtoyés toute la saison dans le championnat Espoirs, où à l’INSEP que je suis allée voir plusieurs fois dans l’année. Il y a des joueurs qui avaient envie de se racheter [de la CDM U17 l’été dernier, où la France a terminé 9e]. Et d’autres qui avaient envie de prouver qu’ils méritaient d’être sélectionnés pour la première fois. Cette complémentarité, c’est ce qui fait la force de l’équipe. Justement il n’y a pas vraiment d’histoire commune, et ils veulent l’écrire.
Comment se sont passés les premiers contacts, en sachant qu’ils n’avaient probablement jamais été coachés par une femme ?
Ils sont surtout coachés par un coach. Ils sont là pour un objectif, et pour rentrer dans le cadre que l’on met en place. Peu importe qui est à la tête, au niveau du staff on a une seule et même voix. J’ai autant d’importance que Romain [Leroy], que Fabien [Frydryszak] et que tout le staff. C’est vraiment important, parce que c’est pareil chez les joueurs. Il n’y aura jamais quelqu’un au-dessus de l’équipe.

Pour parler de votre carrière, quand est arrivée cette envie de coacher ?
J’ai passé mes diplômes pendant que je jouais. J’ai fait un premier entraînement avec des U15 quand j’avais 22 ans, et j’ai su que c’était ça que j’allais faire, ça a été une révélation. Alors que je n’avais pas du tout prévu de faire ça, j’étais comptable à côté… Pendant que je jouais, j’ai coaché des jeunes filles pendant 10 ans. Et par contre une fois que j’ai arrêté ma carrière de joueuse, je voulais coacher des garçons.
Pourquoi ce choix justement, comment s’est faite cette transition ?
Coacher des joueuses avec qui j’ai joué, avec qui je suis amie, je ne voulais pas. Je voulais laisser passer des générations. Et puis j’aime me challenger. Chez les garçons, il y a très peu de femmes dans les staffs, et à un moment donné il faut tenter pour voir ce que ça donne. Si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas, ce n’est pas un problème. Mais le basket n’est pas si différent que ça entre les filles et les garçons. Le management oui, mais le basket non.
Quelles sont ces différences de management ?
On ne parle pas de la même façon à un garçon et à une fille. Un garçon, il faut lui rentrer dedans. Une fille, si on lui rentre dedans, on la perd. Exceptée Carla Leite qui a un caractère similaire aux garçons. Une détermination incroyable. On voit où elle en est maintenant. Elle voulait être MVP [de l’Euro U20], elle voulait être championne d’Europe. Je lui ai dis tu me fais confiance, et je t’y emmène. Et ça a marché, elle a tout fait.
Pendant votre carrière de joueuse, étiez-vous un relais du coach, un “floor general” ? On dit que ce sont ceux qui font les meilleurs entraîneurs plus tard…
On me demandait souvent d’arrêter de parler [sourire]… En fait je posais 15 000 questions pour savoir ce qu’on faisait et pourquoi. Sur la fin de ma carrière, mes coachs ont accepté que je leur serve de relais sur le terrain. Et ce n’est pas facile de laisser la place à une joueuse pour qu’elle coache son équipe, donc je voudrais les remercier pour ça.
Avez-vous eu des inspirations peut-être, pour se lancer dans ce milieu du coaching très masculin ?
Pour moi c’est le coaching qui compte, pas le fait d’être un homme ou une femme. C’est la compétence qui importe. Je me construis en prenant un peu de tout, et surtout sans oublier qui je suis. La clé c’est de connaître et d’écouter ses joueurs, et surtout d’être bien entourée.
Avez-vous pour ambition de devenir un modèle pour des filles ?
Je veux montrer que c’est possible. Que si certaines veulent aller dans cette branche, il y a cette possibilité. Mais par contre, c’est un milieu d’hommes et il faut le savoir. Donc il faut redoubler d’efforts, et accepter certaines choses. Mais si on est compétentes, il y aura de la place.
De quelles choses parlez-vous ?
Est-ce qu’on est en capacité de tenir une équipe d’hommes quand on est une femme par exemple ? Ce sont des questionnements que les gens ont.
Avez-vous le sentiment de devoir prouver davantage que si vous étiez un homme ?
Est-ce que c’est ma nature ou ce que l’on me fait ressentir dans le milieu, je ne sais pas. Mais en tout cas oui, moi je me dis que je dois toujours prouver davantage. Des fois on me dit que je ne devrais pas…

Quels retours avez-vous eu de la part d’ex-coéquipières, ou de femmes que vous avez potentiellement inspiré ?
Quand on est joueuse et qu’on vit ce rythme de vie, la vie de famille est difficile. Et quand on a fini sa carrière, on n’a pas forcément envie de repartir tous les week-ends. Moi c’est ce qui me plaît. Pour en avoir parlé avec beaucoup d’ex-coéquipières, elles ne veulent plus de ce contexte de vie. Pour entrer dans ce milieu, il faut vraiment être passionné, sinon on en sort vite. Ça n’explique pas qu’il y ait si peu de femmes coachs, mais ça peut être une des raisons.
Comment faire pour avoir une meilleure parité dans ce milieu ?
En fait, j’aimerais qu’il y ait plus de femmes, mais si elles sont compétentes. Ne pas mettre des femmes pour mettre des femmes. C’est vraiment la nuance sur laquelle je me bats tout le temps. À niveau égal de compétence avec un homme, elle doit avoir sa chance. Il ne doit pas y avoir de différence sur cela. Ça avance, ça avance…
Selon vos observations, est-on en avance ou en retard par rapport aux autres pays ?
Ici dans cette compétition, il n’y en a pas déjà. Et je ne suis même pas sûre qu’il y ait déjà eu une femme sur un championnat d’Europe U18 masculin… L’année dernière, je pense que j’ai été la première [en tant qu’assistante]. Je sais que l’Espagne avance beaucoup sur cela, et nous aussi. Les fédérations doivent lancer ces choses-là, chez nous il y a une volonté de parité. Mais encore une fois, la compétence doit primer.
En tout cas, rien de cela n’a freiné votre ambition ? Vous avez envie d’aller toujours plus haut ?
On m’a toujours dit que je ne ferai pas carrière. À 14-15 ans, on m’a dit que j’étais trop fine, que je ne défendais pas. On m’a dit que je ne jouerai jamais en ligue féminine, finalement j’ai joué en ligue féminine et en coupe d’Europe [sourire]… Je me suis nourrie de tout ça. Encore aujourd’hui, sur cette compétition, certains ont dit qu’ils ne croyaient pas en mon équipe. Moi je veux toujours plus, je ne suis jamais satisfaite. Je ne me pose pas de questions, j’avance.
Justement, quelles sont vos ambitions ?
À un moment donné, on a forcément envie d’être coach en Betclic ÉLITE. Bien sûr, je ne vais pas me cacher sur ça. Quand ça viendra, ça viendra. À Dijon, ça se passe bien. Je m’entends très bien avec mon directeur sportif qui me fait évoluer depuis quatre ans. Je sais tout ce que je lui dois sur mon évolution dans le milieu. Le plus dur a été qu’on me fasse confiance. Je sais que j’ai été prise dans les dernières, quand il n’y avait plus trop de solutions. Mais quand on me re-signe plusieurs années, c’est que ça doit bien se passer. Ça fait quatre ans que je suis coach des Espoirs, il me reste une année de plus. Et à la rentrée je passe aussi dans le staff pro, pour encadrer individuellement les joueurs.
Et au niveau de l’équipe nationale ?
La confiance de la Fédération est incroyable. Il y a deux ans, ils m’ont appelée pour aller coacher les U20 féminines. Et j’ai été la première coach féminine championne d’Europe. Et le deal, c’était que deux ans après, je sois coach d’une équipe de France masculine. Ça a été un projet de deux ans, l’année dernière j’étais assistante. Je fais partie du pôle d’entraîneurs, mais je vais avoir besoin de repos aussi. Ça fait 6 saisons et 5 étés de suite…
Pour finir, auriez-vous un message à passer pour des filles qui hésiteraient à se lancer dans le coaching ?
Il n’y a pas de limites à partir du moment où on décide de se donner les moyens de réussir. On ne contrôle pas le milieu et ses problèmes, par contre on se contrôle soi-même. Le milieu peut s’ouvrir en fonction de ce que l’on donne. Mais il faut vraiment se concentrer sur les moyens qu’on se donne, et sur notre détermination à réussir.
Depuis Belgrade,
Les mots des joueurs de l’EDF U18 sur leur coach, dans une interview à David Hein pour « Taking The Charge«
Adam Atamna : « J’aime vraiment comment Élise coache notre équipe. Elle nous donne de la liberté dans notre jeu. Mais elle a tout de même une autorité et tout le monde la respecte… Je pense que c’est une inspiration pour toutes les femmes qui veulent coacher des hommes. Elle apporte une culture et une vision différentes des coachs masculins. Elle fait tout pour nous mettre dans la meilleure situation, sur et en dehors des parquets. C’est une gagnante et une super coach. »
Cameron Houindo : « Elle est plus humaine que tous mes précédents coachs. Elle veut comprendre ce qu’on veut, ce qu’on ressent, si on est d’accord avec elle ou pas. C’est ce qui fait qu’on se sent bien sur et en dehors des parquets. On peut être nous-mêmes… Le fait qu’elle soit une coach féminine d’une équipe U18 masculine est incroyable pour notre pays et les autres. C’est un exemple pour les femmes dans le basket. Elle prend son rôle au sérieux et le remplit très bien. Les gens devraient s’inspirer d’elle, de sa force, et l’imiter. »
France of course are one of the favorites at the #U18EuroBasket but this team has another story to be considered
Elise Prodhomme is the first female to lead a @ffbasketball youth men's national team
Yes, talent factory France and the U18 team#respecthttps://t.co/6PpCblKEjw pic.twitter.com/jCZ87pfYHi
— David Hein (@heinnews) July 25, 2025


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